elle trimballe sur son épaule un grand sac nuit noir remplit de déchets. sous les yeux de fumeurs de crack, elle ramasse des gobelets de café vides qui jonchent le sol bitume de la ville apocalypse. ils saluent pierrot (certains itinérants savent qui elle est. à force de traîner dans les rues, de secourir les animaux blessés et perdus et de nettoyer les coins des immeubles en ruines, ils retiennent son prénom, se souviennent de ses yeux brillants). elle leur offre un sourire chaleureux comme le soleil rougeoyant qui caresse le haut des édifices fantomatiques. ils ne lui feront aucun mal. pierrot, c'est la fée des rues, la fée du beau. elle te dessine un sourire rien qu'en passant devant toi. levant les yeux vers le ciel acrylique, elle observe un avion tracer son chemin entre l'astre de feu et l'étoile polaire qui apparaît faiblement.
décor magistral et merveilles à rêver.
contre un mur en brique, une âme égarée.
son âme préférée.
eliott, la marlboro aux lèvres.
- coucou eliott.
elle s'avance, pierrot, rapidement. le coeur joyeux, le coeur léger.
- j'peux en avoir, dit ???
elle pointe la cigarette. elle sait bien que ce sera dur de convaincre la demoiselle, mais elle finit toujours par réussir.

je regarde le bitume. c'est gris. je regarde le décor. c'est gris. je regarde le ciel. c'est gris. détroit est une ville monochrome. la couleur ne s'est pas encore rendu jusqu'ici. on vit comme dans un vieux film hollywoodien avec humphrey bogart. le bitume mouillé reflète les lumières de la ville endormie. des coups de feu réveillent les bébés assoupis. détroit c't'un peu comme une chanson de rap. y'a de la misère dans la rue. des putes font le trottoir. des gens se coke en plein dans la rue. d'autres meurent suite à un combat sanguinaire.
puis, à travers tout ça y'a pierrot.

pierrot, pierrot.
je ne me souviens plus comment j'ai fait pour la connaître. cette petite aux yeux de soleil. c't'un peu la princesse du coin. elle donne de la joie dans le coeur des plus démunis. me donne de la joie. je me vois à son âge. j'étais heureuse moi aussi. j'n'étais pas ici. j'sais pas comment son père fait.
adossée contre un mur de brique, j'attends. j'attends quoi ? j'sais pas. rien du tout. j'fume. c'est tout. et puis je la vois arriver. elle s'approche de moi. me fait l'un de ses fameux petits coucous. et elle me demande si elle peut fumer. mon oeil oui.

- la réponse n'a pas changé depuis la dernière fois : non.

je regarde le sac qu'elle a sur le dos.

- qu'est-ce que t'as là-dedans ?

comment une pierrot la lune et une eliott vitraux d'église ont pu se croiser, un jour ? comment elles ont pu s'adresser la parole et être où elles en sont aujourd'hui ? comment ça fonctionne, tout ça, la vie ? tu sais, toi ? parce que pierrot, elle en sait rien. mais elle reste, parce qu'elle l'aime, cette brune de cinq ans son ainée. elle l'aime trop. c'est un peu comme une mère, pour cette enfant démunie de présence féminine au repère familiale. alors, quand elle la voit, là, dans la rue, c'est toujours le coeur remplit d'amour qu'elle s'avance pour lui parler. pour échanger des mots et des bouffées de nicotines meurtrières.
- s'il-te-plait. juste un peu.
elle lui fait des yeux de chaton, ce genre de regard qui ferait fondre les grands caïds de détroit, ceux aux grills en or et aux fusils chargés.
- j'nettoye un peu les rues.
je tapote le sac noir remplit de déchets. faut bien que quelqu'un s'occupe de la belle en ruine, sinon, qui le fera ? faut bien que quelqu'un offre un peu de son temps à cette ville. pierrot, elle a tout à donner, ça tombe bien.
- tu fais quoi ?

pierrot c'est un chat qui collecte des chiens. c'est une poupée qui sauve des animaux. une robin des bois du monde animal. j'imagine que sa maison est un zoo. des chiens assis à la table, attendant leur dîner. des chats couchés sur le toit, ronronnant en regardant les étoiles. des oiseaux perchés sur les coins de meubles, chantant de douces mélodies pour réveiller les confrères humains. pierrot est une ange qui n'a pas trouvé le chemin du paradis et s'est retrouvé dans le purgatoire. et dieu lui a demandé de propager le bien.
ce qu'elle fait.

je sors de ma poche mon paquet de cigarettes et en donne une à pierrot. je ne veux pas me battre avec elle sur une cigarette. je lui passe un paquet d'allumettes.

- juste une hein.

je regarde à nouveau son sac. elle nettoie la ville. ramasse les déchets. fait ce que nous devrions tous faire, mais ne faisons pas.

- je cherche des pinceaux. t'en aurais pas trouvé ?

en fait je ne cherchais rien. je ne faisais rien. je ne fais jamais rien.

et pierrot le chat ronronnerait presque en voyant eliott sortir son paquet de cigarettes de sa poche. elle pourra se transformer en minuscule cheminé et la fumée souillera ce joli rose poumons à l'intérieur de son être. elle coince la meurtrière entre ses douces lèvres et craque une allumette. la flamme danse et termine sa vie en faisant une gracieuse révérence (et en brûlant pratiquement le bout des doigts de la gamine).
- merci eliott. t'es la meilleure.
oui. pierrot nettoie la ville et souille son être. étrange paradoxe. elle secoue la tête légèrement.
- non, désolé. mais je crois que j'en ai, quelque part, chez moi. si jamais t'en a vraiment besoin.
elle arrivera sûrement à les retrouver. et en même temps, ça lui donnera une raison de ranger un peu la maison. de remplacer sa mère dans ce combat contre la vie et le temps. l'adolescente soupire et fait s'envoler un caillou qui traînait près de la pointe de son soulier amoché.
- par-contre, j'ai trouvé ça.
elle sort de sa poche un bracelet aux milles-et-uns coquillages.
- j'sais pas si on peut entendre l'océen. tu veux essayer ?
elle sourit, elle le tend à eliott.
expire la fumée tueuse.

crac fait l'allumette craquée. d'où elle sort des allumettes ? pierrot la pyromane. je l'imagine mettre le feu aux boîtes aux lettres. mettre le feu aux sacs-poubelles. je l'imagine riant en regardant son méfait. rire. rire. un rire inhumain. démoniaque. un rire provenant directement du fond de ses intestins. un rire rauque. de vieille fumeuse. un rire à glacer le sang.
j'arrête d'y penser.
je tire ma cigarette sur le sol et l'écrase.

- ah non, ça ne presse pas, c'tait juste pour demander...

mensonge.
j'en ai besoin. là. maintenant. tout de suite. j'veux m'exprimer. parler. crier. tout ça à travers la peinture. j'veux salir le plancher, les murs, le plafond. j'veux qu'mon atelier se transforme en peinture. qu'elle coule du plafond comme la glace au printemps. j'veux qu'mon atelier soit rouge, bleu, violet. j'veux prendre des bains de peinture. que ma peau devienne cyan.
mais j'veux pas importuner pierrot. elle a d'autres choses à se préoccuper.
elle me donne un bracelet de coquillages. me demande si on peut y entendre l'océan.

- d'habitude, ça fonctionne avec des coquillages plus gros que ça...

j'en approche quand même un de mon oreille. et j'entends l'eau. la mer, je présume. je n'ai jamais vu la mer. j'imagine des mouettes cherchant des poissons. j'imagine l'écume qui s'effondre sur la plage. qui efface les traces de pas. excitée, je colle le collier contre l'oreille de pierrot.

- écoute... on y entend les vagues.

je souris. pierrot me rend heureuse. pierrot est belle. pierrot est ma soeur que je n'aurais jamais. pierrot est ma fille que je n'aurais jamais. je replace une mèche rebelle de ses cheveux derrière son oreille.

- tu as d'autres découvertes comme ça ?

elle range le paquet de brindilles de feu dans la poche de son jean. plus tôt ce matin, elle en a découvert un tas. ça appartenait sûrement à la petite fille aux allumettes. elle tire sur sa cigarette.
- t'es sûre ?
sûre de sûre, eliott ? parce que pierrot, elle pourrait courir le plus rapidement possible pour aller te les retrouver dans sa chambre en désordre. en fait, pour eliott, pierrot elle déplacerait des montagnes et décrocherait le soleil pour éclairer le coeur de son amie même dans les jours gris, noir pétrole et nuits charbon. elle hausse les épaules puis dépose son énorme sac remplit de déchets au sol. dans ses petites mains, y'a les traces rouges que le haut du sac plastique lui a laissé, à force de le traîner sur son épaule depuis pas d'heures. c'est pas grave, elle dit pas un mot, elle dira jamais un mot. en attendant, elle tend le bracelet coquillagé à la demoiselle. elle se demande si on peut entendre le bruit des vagues. eliott lui répond qu'à l'habitude, ça fonctionne avec les plus gros coquillages. mais c'est pas grave. pierrot, elle est persuadé qu'on peut les entendre les échos d'un océan calme, rythmé par la douceur d'un vent salin.
elle observe son amie qui essaie d'écouter.
c'est beau à voir.
yeux brillants.
eliott plaque le bracelet contre l'oreille de pierrot.
l'ado écoute.
elle est émerveillée.
- c'est vrai, ça fonctionne !
elle est tellement heureuse.
- tu veux garder le bracelet ?
elle le place au poignet de la brune sans attendre sa réponse. puis, comme une exploratrice, elle cherche dans les poches de son cardiguan trop grand et un peu troué à la recherche d'une autre babiole.
- y'a une cassette que j'ai trouvé, aussi. j'ai pas de lecteur pour l'écouter. sûrement une compil' ou je sais pas quoi. et y'a aussi un bibelot de chat. c'est mignon.
elle rigole.

sûre sûre. comme un citron. une expression que je n'ai jamais comprise. une expression sûrement dites par toutes les grands-mères de la terre.
et par les eliott de la terre.
elle attache le bracelet à mon poignet la pierrot. je ne le veux pas. je trouve qu'il serait plus joli avec elle. avec son teint. avec ses yeux. moi je suis pâle. mes yeux sont de la couleur de l'écorce. et ses coquillages sont couleurs pastel. bleus. roses. jaunes. on dirait ces petits bonbons en poudre. qu'on se met autour du cou et qu'on croque.
j'ai envie de bonbon tout à coup.

j'hésite à dire quelque chose. j'hésite à refuser son cadeau. mais je ne dis rien. je ne veux pas lui faire de la peine. elle fouille dans ses vêtements pour des babioles et elle sort d'une poche secrète une cassette. ça fait longtemps que j'ai vu ça. elle dit qu'elle n'a rien pour le lire.
je souris.
j'ai un lecteur caché dans mon atelier. sous les croquis. sous la peinture. un lecteur que j'ai reçu enfant. mes parents comprenaient pas que les cds existaient.

- si tu veux percer le secret de cette cassette, on peut diriger vers chez moi. j'ai un lecteur.

je n'attends pas sa réponse et lui prend la main. je nous dirige vers le milieu de la rue et commence à marcher vers la bonne direction. ça va être une longue marche.
une goutte de pluie me tombe sur le nez. le tonnerre gronde au loin.

elle est contente, pierrot, de faire des cadeaux. d'offrir ses trouvailles aux gens qu'elle aime. c'est un peu une déclaration d'amour. eliott, tu vois, ça, c'est un bracelet beau comme toi. c'est pour ça qu'elle te l'offre, la lune. parce qu'elle te trouve jolie et qu'elle le trouve joli aussi, le bijou.
quand son amie sourit, ça illumine son coeur.
elle a des petits points de lumière dans ses pupilles brunes.
elle a le muscle cardiaque qui s'emballe quand la jeune femme lui dit qu'elle a un lecteur pour lire la cassette. elle sautille un peu partout. la fraîcheur d'une adolescente à la passion débordante. du pierrot tou craché. c'est un tsunami d'énergie.
- chouette chouette chouette, j'ai trop hâte d'entendre ce qu'il y a là-dessus.
qu'elle dit en se faisant traîner dans le dédale des rues désertes. en haut de leurs têtes, les nuages se gonflent de tristesse. ils font entendre leur voix chagrinée. y'a même les larmes qui commencent à couler. eliott en reçoit une sur le nez, pierrot en reçoit une sur la joue, c'est comme des tatouages temporaires. des tatouages de sentiments.
- c'est loin, chez toi, eliott ?
parce que pierrot, elle a jamais vu le repère secret de son amie.
parce que pierrot, elle attend patiemment qu'on l'invite.
elle lui serre tout doucement la main.

mes parents m'avaient fait un mix de chansons de leur jeunesse. c'était la raison pour laquelle ils m'avaient offert un lecteur cassette plutôt qu'un lecteur cd. ils voulaient me partager leurs savoirs, leurs goûts, leurs souvenirs. et moi, comme une enfant gâtée, j'avais crié. j'avais pleuré. je disais que j'allais être la risée de l'école. que tout le monde allait rire de moi, car je n'avais pas un lecteur tout neuf. j'avais insulté mes parents. j'avais jeté le lecteur dans le fond d'un tiroir, ne lui retouchant plus jamais.
et par triste ironie, le seul objet qu'il me reste d'eux est ce lecteur.
caché dans ma pile de vêtements, dans un petit sac de plastique.
la cassette de mes parents bien en vue, attendant de se faire écouter encore
et encore.

le ciel devient plus gris. le bitume aussi. mes vêtements deviennent mouillés. ils se collent à ma peau, dévoilant mon corps filiforme. mes cheveux se remplissent d'eau. je les sens peser sur mon crâne, essayer de le percer et d'atteindre mon cerveau. je regarde pierrot et je souris, lui tenant la main et la balançant d'avant à arrière comme deux petites filles.

- tu connais l'église ?

bien sûr qu'elle connaît l'église. ses clochers funestes dominent les immeubles désaffectés, créant des ombres menaçantes sur le tarmac.

- eh bien c'est là. j'habite dedans.

je profane la maison de dieu pour y dormir. une pécheresse parmi les saints.

c'est cool, un lecteur de cassettes. pierrot, elle sait pas si son papa en a un, perdu dans les pièces en fouilli de la maison. faudrait qu'elle cherche, ce soir. qu'elle devienne exploratrice, chercheuse d'objets perdus. peut-être (probablement) qu'elle n'ira pas plus loin que le bureau à miroir où les objets de sa maman sont soigneusement rangés et qu'elle pleurera beaucoup en retrouvant son parfum préféré, son rouge à lèvres qu'elle portait si bien, son foulard qu'elle enroulait autour de son cou dès que l'été se transformait en automne.
elle se demande si eliott, elle a des souvenirs de sa maman avec elle.
sur sa tête pleine de questions, les goûtes de pluie meurent.
ses vêtements s'alourdissent et le sac de plastique noir essaie de s'échapper d'entre ses doigts. son autre main est toujours prisonnière de celle d'eliott (et c'est très bien ainsi). son amie lui sourit et elle ne peut que lui sourire en retour. elle se sent légère. elle se sent bien, aujourd'hui.
- oui, je connais l'église. quand j'étais petite, j'aimais pas passer devant, mais maintenant, ça va. elle me fait plus peur. je la trouve jolie. on dirait qu'elle est habitée par pleins de fantômes et parfois y'a des gens qui viennent y chanter en groupe. j'crois que les fantômes aiment bien entendre tout ça.
elle arrête de parler.
pierrot, elle parle toujours trop.
parfois les gens aiment, parfois les gens aiment pas.
elle s'arrête un moment pour bien assimiler ce qu'eliott vient de lui dire.
- tu... habites dans l'église ????
elle cligne des yeux au moins cinq fois.
- c'est... TROP COOL !
elle sautille sur place. elle l'imagine, la brunette, jouer de l'orgue à pas d'heures, se coucher sous les couleurs des vitraux, boire du vin sur les marches de l'hôtel, observer le plafond aux cent illustrations.
- j'ai vraiment très très hâte de voir tout ça, oh oui.
pierrot, elle a tant d'énergie et ça déborde toujours.

« cool ».
j'ignore ce qui est « cool » d'habiter dans une église désaffectée. j'ignore ce qui est « cool » de coucher sur un vieux matelas sale à ras le sol. j'ignore ce qui est « cool » d'avoir peur chaque soir que quelqu'un vienne forcer la main sur moi. j'ignore ce qui est « cool » d'être une sans-abris.
pour l'une des rares fois, je trouve ma petite pierrot idiote.

- ce n'est pas tant cool en fait. vivre dans la rue c'pas comme dans un livre.

pierrot, elle, a un lit sur lequel dormir. a des draps propres. des vêtements propres. pierrot, elle, sait que chaque soir elle sera la bienvenue dans sa maison, que son toit ne lui sera pas enlevé. pierrot, elle, a une famille. moi, je n'ai rien. rien que des toiles stupides et de la peinture séchée sous mes ongles. rien qu'un matelas que j'ai trouvé à travers des poubelles, devenu humide avec le temps. je n'ai rien qu'un toit fuyant et qu'un vieil orgue désaccordé. et encore là, tout ça ne m'appartient pas. n'appartient à personne. à personne sauf à lui, là-haut. tout le monde peut rentrer. tout le monde peut y rester. mais personne n'aura le contrôle sur l'église.

je lui tiens toujours la main, un peu moins souriante. la pluie tombe autour d'un nous. on dirait des milliers de petits tambours qui frappent tous en même temps, créant une symphonie faisant vibrer de bonheur mes tympans.

- tu aimes la pluie pierrot ?

elle arrête soudainement ses gamineries.
à voir la tête d'eliott, c'est pas cool, d'habiter dans une église. c'est pas cool ne pas avoir un chez-soi, c'est pas cool dormir avec le seigneur et les vitraux qui te dévisagent. alors pierrot pince tristement les lèvres et n'ouvre plus la bouche. elle empêche les mots de sortir pour quelques minutes. pour ne plus dire de bêtises (faut la pardonner, dans sa tête tout va un peu trop vite et elle pense pas toujours à ce qu'elle dit).
- j'suis désolée, eliott.
y'a le silence pluie qui retombe entre les deux filles et, un peu mal à l'aise, pierrot serre la main de son amie. elles disent plus un seul mot et ça détonne avec le son des gouttes qui chutent sur le trottoir. si elle aime la pluie ? ô oui. autant que le soleil, autant que la lune, autant que les nuages et les étoiles et les éclipses et les aurores boréales et tout l'univers au grand complet. quand elle était jeune, elle pleurait parce que les nuages étaient tristes et qu'ils laissaient tomber leurs larmes (elle sait pas si papa oscar s'en souvient (papa, tu t'en souviens ?)). elle hoche la tête.
- oui, j'aime la pluie. on dirait que c'est dame nature qui a le coeur trop plein et qui doit évacuer ses sentiments. puis, c'est comme de la musique.
de sa main libre, elle se tourne vers eliott pour essuyer quelques goutes qui sont restées sous ses yeux, sur ses joues, sur son front. ça ne change rien, elles sont toujours trempées.
c'est qu'aujourd'hui, dame nature, elle a une peine immense.

les branches dansent au rythme des vents glaciaux. les feuilles se nourrissent de cette abondance de vie provenant des cieux, profite du déluge pour rajeunir, se rafraichir. les fleurs absorbent l'eau et sourient face à la tristesse du ciel. dame nature rit au visage de dieu, rit de sa mélancolie, de son coeur brisé. dame nature nous protège du déluge prochain, celui qui nous tuerait, nous noierait. dame nature vêtue de sa robe de feuilles, bouche en coeur, cheveux fleuries, elle n'a que ça à faire, rire de dieu.
et elle court.
court aux côtés de pierrot et moi. je peux la sentir. je vois la pluie l'entourer, la cacher à nos simples yeux d'humain, la masquer derrière un bouclier d'eau. elle sourit sûrement à nous voir. à nous voir parler de la pluie, dire que c'est dame nature qui a de la peine. elle rit de notre insouciance, de notre ignorance. pierrot essuie les larmes de dieu sur mes joues, je replace des mèches derrière ses oreilles.

- c'est dieu qui est triste.

je regarde tout autour de nous et je vois un abribus abandonné. des graffitis ornent les bancs et les fenêtres. l'une d'elles est défoncée. sur le sol, des déchets vieux comme le monde. l'abri est au milieu de nulle part. derrière, rien. que des lignes électriques partant vers l'infini.

- tu veux qu'on s'abrite le temps que l'orage passe ?