Hiro, il a sa clope coincée entre les deux doigts, elle qui se démembre peu à peu, abandonnant ainsi la poussière malade sur le trottoir usé. Parfois elle s'approche de sa bouche et lui injecte son venin ; ça va tapisser le fond de sa gorge, comme pour marquer son territoire, et ça finit par se mélanger au souffle de Détroit. Hiro, il a le dos contre quelques vieilles briques, elles ont l'aspect fragile et peut-être même qu'elles le sont, mais il leur fait confiance ; c'est sa ville, ses cadavres rigides, ses briques affaiblies par le temps. Elles ne se défileraient pas devant lui. Hiro, il a le regard qui voyage, qui épouse les couleurs ternes de l'agonie ambiante, les cassures dans les lignes supposées droites autrefois, les fantômes du paysage post-apocalyptique, qui viennent pleurer les membres arrachés au corps de l'ancienne cité. Hiro, il est las de cette toile monochrome, las de son mur, las de sa clope. Il avance, le mégot s'écrase lamentablement sur l'asphalte que des pas viennent fouler, tirant derrière eux un élan de vie qui ne peut que lui plaire, on vient s'accrocher à lui comme on s'accroche au dernier espoir avant la mort, mais c'est ce qu'il représente, ici.  Ça le pousse jusque dans l'obscurité, un sourire s'étire sur ses lèvres mais elle le verrait à peine, encore attachée à son bras, le confinant entre un mur et son joli corps de femme. C'est mon métier. Une main, vient replacer une mèche derrière son oreille. Sauver les belles demoiselles en détresse. Dora.

Comme d'habitude ?

dora, elle se demande ce qu'il a de si spécial, hiro. pour qu'elle se tienne a lui comme à la dernière bouée de sauvetage. elle sombre dora, si il la pousse dans la lumière le brun. foutue. elle veut pas avoir à dormir ce soir. pas sans avoir vue la vie en rose avant. dora, c'est celle qui est arrivée après la nicotine. en remplacement. l'inutile exploratrice, utile le temps d'un échange de marchandise. refiler du bonheur en vert à un autre être. c'est peut être ça, ta seule fonction. il y a ce frôlement de peau, un peu intime, qui ferait rougir n'importe quelle gamine. sauf les pommettes de dora. elles aiment leur blancheur celles-là. comme d'habitude. les doigts de dora viennent faire le fond de ses poches. y a pas de bout de papier. elle a loupé le coche ce matin. oublié de chopper les dollars trainant sur la commode en bois naturel. dora, elle s'écarte pas de son diamant brute. les demoiselles ? ... même celles sans billets verts ?

Hiro, il a déjà les doigts qui glissent dans un pli de sa veste, alors qu'elle l'implore de ses jolis éclats en manque, de lui souffler un peu de bonheur au visage. À vrai dire il a toujours un petit paquet de prêt pour elle, quand il sort, parce qu'il la connait, Dora, elle tient pas bien longtemps, Dora, elle est mignonne quand elle a besoin de lui. Il l'aime bien, son corps contre le sien, dans ses élans de désespoir. Mais il l'aime bien tout court, l'exploratrice, avec ses pommettes impassibles et sa respiration crevée par le vice. Parce que même sa peau n'est pas innocente, marquée ça et là par ces traces qui ont déjà versé leurs dernières larmes, pauvre petite. Elle est pas simple, la vie, elle aime pas sourire, de toute façon elle en a rien à foutre, de nous, de tout. Dora, Dora... Il soupire. De l'autre main il soulève un peu son menton et suit le contour de sa mâchoire. Pas n'importe lesquelles évidemment. Hiro, il lui lâche un sourire comme d'autres lui lâcheraient les chiens. Dangereux. Mais toi. Tu sais que je t'abandonnerais pas dans cet état. Le rêve, il a quitté sa poche pour le creux de sa main. T'es un peu l'exception à la règle, et j'veux bien les changer pour toi.

dora, elle a les ovales braquées sur celui qu'elle considère mieux. bien mieux que d'autres. mieux qu'avant. mieux que ceux qui laisse la vie dicter chacun de leurs pas. même si la fosse est plus très loin. elle sait dora, qu'hiro, il est pareil. soumis à la seule attraction terrestre. au diable ceux qui essaye de les pousser. hiro, hiro, hiro. quelles règles ? y'a pas de règles. jamais. surtout pas à ce jeu là. surtout pas à notre jeu. l'ombre enveloppe vos corps d'une certaine chaleur. velour qui cache ce sourire impétueux qui aimerait, autant que la lune, s'échapper de cet enfer. le beau hiro (parce que dora. elle a pas le coeur qui vit. mais sa tête est moins rayée, capable de reconnaître ce qui pourrait trôner au milieu du ciel.) le beau hiro, il sait user de ses charmes. contact diffus. mouvement souple. celui du chat de gouttière qui passe là où il veut. dora, elle a le visuel sur la marchandise. et elle sait copiée dora, on apprend à survivre plus qu'a vivre. doigt qui traine sur son bras. sa main. ses doigts. oh mon hiro. une faveur, une seule, c'est ce qu'il crie ton regard. sombre. coule. tant que le sachet reste à la surface. mais le chat. il a l'habitude de ses tours de passe-passe aussi bancals que ceux d'un magicien de rue. fais pas ta pute. donne. tu les vois déjà, ses doigts qui vont venir enserrer ta peau de voleuse. voleuse en manque de la poudre du brun.

Ici, y'a plus rien qui vit. Hiro, quand il soulève la poussière de ses semelles sur les pavés, il ne sent rien. La ville a arrêté de soupirer, c'est plus que la toile inachevée d'un peintre dépressif, probablement qu'il venait de Détroit, lui aussi. Même les chiens errants ne s'aventurent plus dans ces artères abandonnées, par peur de déranger les fantômes qui se laissent emporter par quelques tourmentes enragées. Et puis au final, on regarde, appuyé contre la carcasse d'une vieille Ford laissée là, la verdure envahir le paysage agonisant. On lui a laissé deux choix, à Hiro ; soit tu laisses tomber. “game over, press restart”, tu bouges à l'autre bout du pays. Et si t'as de la chance tu deviens quelqu'un de bien. Soit, tu crèves avec la ville, on te retrouve quelque part entre deux immeubles, le crâne éclaté ou les yeux explosés, overdose, fin. Une fille c'est pas censée être aussi vulgaire. Censée, Hiro il en a rien à foutre, au contraire c'est plutôt joli quand ça pend de ses lèvres. Dora, Dora, elle a les iris qui tremblent, le souffle avide, les membres fatigués. Allez, tu sais comment ça marche ici. À cet âge, on fête, on respire, on vit. Dora, elle sent la clope, l'alcool, la belle débauche. On a dû lui aspirer sa part de bonheur, à l'heure qu'il est, c'est pour ça qu'elle cherche une faille sur ses bras, sa main, ses doigts. Y'a que mon sourire que je peux t'offrir. Alors il les referme sur le fragment de rêve, ses épaules soupirent. Un jeu sans règles, j'y vois pas l'intérêt.

grognement un peu (trop) animal se déploie dans sa gorge. moins vulgaire, plus bestiale. le lampadaire du coin fait office d'horloge avec ses chatoiements éparses. tic, lumière, tac, ombre, tic, jour, tac, nuit. elle sait. oh oui, elle sait trop bien, les règles. elle a voulu les oublier pour une nuit. try again. je veux pas tes lèvres de cette manière. sourire. un sourire vaudrait mille mots ? ce sourire vaut un avertissement. de ceux qu'on voit une fois dans notre vie, avant de finir dans une ruelle, le jean déchiré (plus que d'habitude), les yeux révulsés. dora, elle le voit dans les yeux d'hiro qu'il veut bien plus. qu'ils veulent bien plus. bien plus que ce sourire de délinquant. elle voit sa distraction d'une nuit commencer à lui échapper. elle l'abandonne pour le mur opposé. la poussière qui s'approprie son dos. les mains qui s'égratignent contre les briques. les ovales adoucies, qui brillent moins, qui attendent. elle préfèrerait se débarrasser de ça. d'la corvée de paraitre de faible. impose moi les tiennes dans ce cas. je suis fatiguée d'attendre.alors dans un soupçon de désespoir, elle fait croire au brun, qu'elle a mieux à faire. que se trouver dans ses bras, que c'est un écart à son emploi du temps de lycéenne. un sourire qui contracte le coin de ses lèvres, elle n'attend que lui pour bousculer sa nuit.

C'est amusant, de l'autre côté, quand on a les sens qui nous brûlent. Les pieds s'éclatent incertains sur les pavés, le navire tangue sous la tempête mais la pluie ne vient pas coller les cheveux sur le front. Alors on s'étonne. Le phare ne s'arrête plus de briller, ça pique les paupières, toute cette lumière, c'est insupportable. De toute manière on va se perdre encore et encore, dans le cadavre du géant de pierre, et autant qu'ils seront ils ne pourront rien y faire. L'impuissance. Elle paraît moins dure quand on voit de fausses couleurs danser. Hiro, il la comprend, alors il profite. Tout est plus facile quand il fait nuit, les masques se fondent dans le silence des murs, y'a plus d'attentes. Pourquoi tout doit toujours aller si vite avec toi ? Dora, ça fait un moment qu'il reçoit ses billets. Et la première fois, il n'y avait pas eu de règles, juste quelques paroles mortes, deux étrangers qui marchandent pour la mort. Mais il savait qu'elle reviendrait. Qu'elle voudrait bien jouer avec lui. Ici les pas sont confiants, l'ancre a dû rejoindre les fonds de l'océan parce que ça ne bouge pas. La ‘poussière enchantée’ a rejoint le pli de sa veste et lui, il a rejoint Dora. La vie, c'est une salope, elle est pas éternelle. Ses paroles viennent attaquer le haut de sa gorge. Faut profiter de chaque seconde.

on dirait que la rue est morte, sous l'éclairage biaisé des colonnes lumineuses. on voit plus les pas qu'ont usé les pavés. piétinant l'avenir. mais y a ce petit bout de vie. caché dans les ombres, entre deux briques fêlées. y a ces deux êtres enlacés, qui ne se connaissent que la peau, et les mots. la lune, seule témoin de leur échange. dora, elle regarde sa démarche assurée. elle relève son menton avec lassitude, quand les pans de sa veste viennent la frôler. je vais commencer à croire que t'aimes ma présence. le murmure sort à peine de ses lèvres. comme si elle avait peine à avouer. elle le serait encore plus si elle l'était. nous non plus, on est pas éternel. sous sa veste, près du pli, celui qui cache la poussière enchantée, les doigts de l'exploratrice vont se nouer dans son dos. on devrait profiter l'un de l'autre tu crois ? dora, elle a les aiguës innocentes, douces. un peu provocatrice quand elles s'adressent à hiro. innocence évaporée dans les ruelles. perdue depuis longtemps.

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