WANDA, BOSKO
20

il n'y a plus de soleil, il n'y a plus rien du tout, et tout le monde se fout, tout le monde se fout des fleurs

Elle fait ce truc, Wanda.
Elle fait ce truc de sortir et de s'asseoir au bord des trous au bord des flaques, elle fait ce truc de s'accroupir à côté ou plutôt au bord des creux qui plutôt que les pavés décorent les rues et une fois qu'elle est là, elle bouge pas.
Plus. Bouge plus.
Pourtant dedans ça danse autant que l'eau qui stagne piégée entre les dix milles murs de leur prison de bitume. Ca bouge fort et ça bouge pas. La surface de l'eau c'est comme celle de ses yeux, elle reste grise elle reste vide et c'est sans vie. Elle est complètement creuse, Wanda.
Carrément creuse, ouais.
Hein ? oui.
Mais elle s'accroupit toujours comme ça au bord des trous dans la rue, elle fait toujours ça, on dirait une espèce d'infirmière ratée qui essaye de soigner les rues, de boucher les vides trop remplis d'eaux stagnées stagnantes mais c'est elle qui stagne aux dessus d'elles au dessus d'eux, les trous qui comme des dizaines d'étoiles qui se multiplient mettent des couleurs de riens sur le bitume sale et maussade.
Tout le monde est maussade ici.
Sale elle sait pas. Y en a des gens sales, pourtant.
Mais les gens sales elle ne les voit pas, surtout ceux qui sont très trop propre en dehors et tellement crades en dedans avec leurs moisissures de cœurs qui fleurissent comme des fleurs de malheur tout autour de leurs mots couverts d'épines. Elle ne les voit pas ces gens là qui passent derrière elle parfois, souvent, quand elle fait son truc de s'accroupir au dessus des lacs miniatures et qu'ils déversent sur son dos sur sa peau des déluges de lettres cassées, des tempêtes de (gros) mots ou mots méchants-violents juste bons à cogner et cogner fort cogner juste mais sur Wanda leurs mots ne cognent pas - ou cognent très-trop fort. Wanda elle ne les entend pas et les entends carrément les deux en même temps ou alors rien, peut-être, on sait pas, personne ne sait même pas elle, ça glisse sur sa peau de nacre et ça s'arrête pas de couler mais ça fait pas couler les larmes, ça. Elle ne relève pas la tête et c'est comme si ses yeux étaient scotchés aux grandes marées d'eaux de pluie qui s'agitent dans les charnières modernes et improvisées de la ville morte, c'est bien plus intéressant, c'est intéressant d'y plonger des gens aussi, tout petits tout petits des trucs minuscules comme des bateau parfois aussi des trucs qu'on construit avec l'esprit parce que Wanda c'est comme ça elle a 20 ans mais elle est restée bloquée à 10, 15, 20000 ou 3 on sait pas, Wanda elle a grandit toute seule avec papa, avec papa, avec papa...
C'est papa qui s'en ira pas et de toute façon il n'a pas le droit, elle lui a rien dit mais lui il a promis - on sait pas trop à qui. A lui sans doute, surtout, parce que maman est morte y a super longtemps et Wanda elle s'en fout.
Enfin c'est pas qu'elle s'en fout c'est qu'elle se rend pas compte parce qu'elle se rend compte de rien mais en vérité elle a besoin de papa, Wanda, elle a besoin de lui pour la protéger pour la maintenir un peu dans la réalité pour la faire grandir et puis (sur)vivre aussi parce que seule elle s'en sortira pas.
Tout ça elle sait pas.
Tout ce qu'elle sait et qu'ils savent tous c'est que maman est morte au commencement, au tout début et que c'est sa vie qui lui a pris la sienne, elle sait aussi que papa lui en veut pas et qu'il y a qu'elle dans sa vie et pareil pour elle y a que lui dans la sienne, enfin lui et les autres, certains, pas beaucoup ou énormément personne ne sait personne ne pige rien (surtout pas elle ?) à la mécanique de son esprit et de son cœur biscornu.
Bah, elle est une et elle est dix mille, c'est comme ça, ça va.

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