LA FILLE AU CHADOR
dix mille ans

 combler l'abîme de votre désir

vous sentez un trou perforer votre cœur. quelque part, au milieu de vous, il y a une sensation qui se laisse sentir comme une absence. et dans votre crâne, il y a une idée abstraite qui vous obsède.
vos intentions illicites sont à combler, et les soirs de pleine lune, c'est moi que vous venez trouver.
au détour d'une route.
au détour d'un chemin.
au détour de votre appétit.  

j'aperçois votre désir implicite, qui n'a pas de nom et qui n'a pas de forme. un désir comme du sang à mes pieds a coulé hors de vous, un désir que je ne connais pas et ne reconnais pas, que vous êtes seul à connaître, et que vous me demander. un morceau vous manque pour compléter le puzzle de votre vie, vous vous résignez à venir me voir pour trouver votre bonheur. vous sonnez à ma porte et je vous donne de l'allégresse empaqueté dans du carton. je suis la sibylle voilée, et au fond de mes yeux, vous reconnaissez le visage de votre perte.
la fille au chador a du désir plein les poches ; en capsule, en pochon, en cristaux, en poudreuse. elle découle de cette substance chimique pour laquelle vous donnerez votre corps. vous êtes le chien qui a sentit l'odeur de la viande rouge et qui se lèche les babines. vous la suivez de très près, assaillis par la soif inaltérable de votre désir. la bave qui coule de vos babines est le signe de votre dépendance, que vous essayez en vain de dissimuler. je suis le marchand d'âmes. je ne vous veux que du bien. vous avez signé un pacte indécent pour faire commerce avec la mort. je suis son visage, et c'est avec mon ombre que vous devez négocier. je vous montre la paume de mes mains, et vous fait part de mon intégrité. nous jouerons aux nobles commerçants : je serai le vendeur, et vous, le client. le vouvoiement est de coutume entre les honnêtes gens. par contre, nous n'utiliserons pas de formules de politesse, car les "bonjour" et les "merci" sont réservés aux putains dans mon pays.
nous passerons un accord tacite et inviolable : ni vous ni moi ne prononcera le nom de ce pourquoi vous êtes venu me trouver à ces heures homologuées de la nuit.

LE DEALER
mais un vendeur est correct, plus l'acheteur est pervers ; tout vendeur cherche à satisfaire un désir qu'il ne connaît pas encore, tandis que l'acheteur soumet toujours son désir à la satisfaction première de pouvoir refuser ce qu'on lui propose ; ainsi son désir inavoué est exalté par le refus, et il oublie son désir dans le plaisir qu'il a d'humilier le vendeur. mais je ne suis pas de la race des commerçants qui inversent leurs enseignes pour satisfaire le goût des clients pour la colère et l'indignation. je ne suis pas là pour donner du plaisir, mais pour combler l'abîme du désir, rappeler le désir, obliger le désir à avoir un nom, le traîner jusqu'à terre, lui donner une forme et un poids, avec la cruauté obligatoire qu'il y a à donner une forme et un poids au désir. et parce que je vois le vôtre apparaître comme de la salive au coin de vos lèvres que vos lèvres ravalent, j'attendrai qu'il coule le long de votre menton ou que vous le crachiez avant de vous tendre un mouchoir.

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