SOLAL ULYSSE HEWITT
28

recoller du soleil sur nos ailes d'albatros

Solal se tient devant vous, l’œil en fugue, l'ailleurs se déployant tout entier sur les blêmeurs de sa peau — vous le diriez absent à première vue, égaré en quelque sinuosité de sa pensée intarissable. Pourtant il vous sait, il vous dépouille tandis que vous baissez votre garde — puis il vous écrit. C'est qu'il aime à se hurler dramaturge, à s'arroger sans cesse une supériorité intellectuelle factice, qui justifierait sa misanthropie. "Si je vous évite, c'est parce que vous ne me méritez pas." Disons plutôt qu'il vous craint, qu'il est terrorisé par votre concrétude — lui qui se nourrit d'abstractions et de hauteurs littéraires. Jamais il ne viendra à vous l'air avenant et le cœur ouvert ; et si par hasard ses maladresses sociales le mènent jusqu'à vous, il se construira une façade juste sous votre nez — et vous le croirez, parce qu'il vous semblera faible, si faible ; faible comme un cœur sincère.

Pourtant il aimerait à se lier, Solal, à attacher son cœur puissamment — à redessiner les plus grands sentiments, les plus folles passions, les plus violentes pulsions, à les repeindre de ses mots et de ses soupirs muselés. Il se dérobe à vous mais son plus cher désir est d'être un jour décrypté, et de s'ancrer à un autre — un, oui. Parfois il oublie d'être acteur, et ses regards coulent sur vous, languides, désespérés — ridicules. Vous le verrez errer à toute heure, tanguer sur ses membres et sa maigreur féline comme un bateau ivre. Vous le verrez inexpressif, ou déchiré par l'explosion subite de son intériorité tourmentée — vous le verrez trembler ou s'illustrer par sa rigidité.
Et lui vous verra, à travers le prisme de son cœur dissimulé — peut-être serez-vous son inspiration, sa haine — ou sa désillusion, ou sa peine.

+: