D'ici le ciel voit tout, sale obsédé, pense-t-elle.
Le compteur tourne pas, les ampoules clignotent plus, les voitures klaxonnent pas davantage, mais les lampadaires s’agitent et soulèvent le lac d’un souffle de vie. Comme celui de Rizzo. Celui d’Rizzo, qui tombe sur le matelas, s’écrase au bord du lit, s’évapore à l’encadrement vieux des fenêtres. Les murs tiennent fichtrement debout. Ni lui, ni elle seront responsables de l’apocalypse, et si on les accuse, ils pointeront l’un et l’autre du doigt. Ils fonctionnent, eux. Ils veulent simplement être sûrs, alors ils s’assurent que ça marche, partout, que ça se soulève, encore, même rien qu’un peu, ce serait assez pour les rassurer. Des filppés pareils, sans leur crise de la vingtaine, c’est difficile à gérer, mais ça y est, elle s’repose, elle bouge plus, elle se tasse, contre sa poitrine. Elle est nue. Hiro, il fait du bruit, quand il respire, trop d’bruit. Hiro quand les étoiles grimpent c’est le sien, mais demain, il sera plus là pour tenir chaud. Parce qu’il existe pas, les étoiles se font la malle et lui, il s’en va avec. Hiro ? C’est quoi ton vrai nom, Hiro ?

Elis Björk est un garçon très sage.

La nuit, on ne pense plus, on vit. On laisse les coulées d'air frais s'écraser contre le peu de chair exposée, et l'absence de bruit percer jusque dans les os, les couleurs s'estompent peu à peu jusqu'à ne laisser la vedette qu'à ces quelques points de lumière usée. On s'étonnerait pas si elle aussi venait à disparaître une nuit.
Il adore ça – tout. Briser l'harmonie glaciale des premiers instants du vendredi par ce qu'il y trouve de plus exaltant. Aujourd'hui comme souvent, il voit les murs que le temps a engloutit, porter un de ses bâtiments de prédilection, avec le toit qui manque. Lui aussi il a préféré disparaître ; ne pas avoir à supporter ceux qui viennent pour se découvrir encore, et encore, et encore.
Le ciel est moins vide qu'hier.
Pourquoi je te le dirais ?
Ou peut être qu'il l'est plus, il ne saurait pas dire, il ne prend pas toujours le temps de l'observer. C'est parce qu'on baise que tu te sens obligée d'en savoir plus ?
Le contact semble éternel.

Rire de celles qui ne savent pas où se mettre, elle passe au dessus de leur tableau fort critiquable, sans personne pour gueuler, ici, kidnappant les clopes dans le blouson. Quand vous êtes gosses ils vous disent que y a rien d’pire, sinon de pas essayer. Rizzo, elle fait tout, avec Hiro, elle essaye tout, même les murmures, même les mots doux, même les insultes. Enfin. Rizzo, elle est pas bien tendre, elle aimerait bien, poser une main sur sa face et lui dire combien ça la soulage d’avoir un coup le samedi matin, quand personne veut sortir dans leurs rues si étranges et. Le fantôme passe. Rizzo, elle va s’confondre au reste, elle va devenir l’arbre sauvage et étendu qui de ses racines couvre l’immondice du moment. Puis elle sera muette, et quand elle sera muette, il donnera son prénom. De déliquant, d’incompétent ou de tordu. Hiro, il est là, dans les averses, c’est Hiro. Hiro elle aime bien quand il se redresse un peu sur les coudes et, quand il veut la dévisager mais. Elle est déjà là, concentrée sur les océans nébuleux. Rizzo, elle est pas patiente. Si tu me l’dis on arrêtera de faire l’amour, c’est ça ? Pour la faire essayer plus, il dirait n’importe quoi alors Rizzo, elle envoie la fumée d’une maladroite taffe au ciel et soudain, retombent les audacieuses malices qui s’amusaient à dessiner les bords de leurs ébats sur les horizons ivres. Bah, il fait nuit, Hiro, on peut faire comme si. Pas grave j’irai voir ailleurs. “Baiser” ceux qu’on un nom. ...c’est beau Hiro quand j’y pense. On était saouls.

On bouge ; la masse qu'on distinguait à peine à travers le verre brisé, las de supporter cette éternité terne qui s'accumule de jour en jour, s'étire, se redresse pour former deux êtres distincts, deux êtres qui tuent leur solitude occasionnelle en épousant les creux du vieux matelas, sous les yeux qui par milliers brillent au dessus de leurs corps dévoilés. La fumée part rejoindre les âmes mortes, là haut, et son bras se tend pour atteindre le paquet entamé et délaissé sur le bord de la petite table en bois. C'est pas une routine, avec Fox, c'est bien plus que ça ; une danse immortelle qui suit le mouvement des astres, comme on suit le petit sentier derrière la cabane à moitié dévêtue par le temps, dans l'espoir d'y trouver quelque chose de beau, quelque chose de particulier. Quelque chose que l'on pourrait faire sienne.
Fox Rizzo, c'est la fille de nos nuits préférées, c'est la fille qui vient apaiser tous les maux de la ville en une caresse ou deux murmures, mais elle ne peut être que cette fille là. Pas une autre. Ça sera jamais pareil. Les épaules sont aussi désinvoltes que le nuage qu'il expire, il vient s'écraser contre cette barrière qui les tient éloignés, malgré le contact, malgré la danse.
Unique. La singularité que les pores dilatés de sa peau expirent, celle qu'il boit de son regard, il l'admire.
C'est bien Hiro. T'as pas besoin d'en savoir plus cette nuit.
Ni les prochaines, ni celles d'après, ni celles qui s'étendent au loin alors qu'on en est encore à la clope des dernières heures de la nuit.
Fox. Pourquoi Fox ?
Il ne pose jamais de questions, d'habitude.

Rien, rien n’est comme avant, Hiro. Un incomplet sourire s’étend, Rizzo achève de profiter des dernières tentatives du bâton tragique lent, qu’amène un peu plus de mal à sa cage d’animal insatisfait. Parfois, il n’est pas si idiot, parfois, il comprend bien qu’à Détroit les derniers anges s’embourbent dans le marais, suffoquent sous le poids de leurs ailes, ne veulent plus des mauvaises têtes. Enfin, en fait, elle l'admire un peu, Hiro. La plus belle étoile, elle ne se dévoile pas, si elle arrive, alors il faut la fuir, si elle arrive… c’est qu’il est déjà trop tard. Les inanimés, il y a en a partout dans la pièce, on y touche pas, on y touche plus, sauf si ça se fume, sauf si ça tourne, on l’attrape, on l’épuise. C’est un peu comme un homme. Fox, ses ovales tombent sur Hiro et d’un baiser chaste à la limite de son menton, elle éclate des astres, rien qu’à élever sa voix tiède. Ma mère m’appelait comme ça. Les avant-bras qui butent contre les poussières fourbes et, l’écran divin, au dessus, qui finit, avide, de l’écouter. Mon renard. Fox, Fox, c’est un peu bas, Fox, et elle n’aime pas tellement son prénom, ils ont tendance à en rire, les hommes. Fox c’est moins banal que l’reste. Hiro, tu veux recommencer à choquer les étoiles ?

Elle a raison.
Et alors que la mort se tapit au fond de sa gorge d'homme libre, dans l'attente interminable de lui crever les poumons, son regard s'abat sur la fine silhouette, cachée par l'indécent nuage qu'il expire, qui s'approche du corps comme on s'approche d'une proie. Fox, c'est loin d'être une proie. Fox, c'est le prédateur taché de l'écarlate de tous ceux qui se tentent à l'approcher, c'est la souveraine du bas-monde dans lequel on vient sombrer après quelques verres de vie, “pour oublier” qu'on dit.
Mais il ne veut qu'elle pour ces nuits de solitude, elle et personne d'autre.
Fox, elle a ces iris sombres dans lesquels les étoiles n'oseraient briller, par peur qu'elle ne les éteigne d'un de ses souffles chauds. Alors qu'elle est douce.
Mais quand deux prédateurs se rencontrent, qu'est ce qu'il leur reste à faire, si ce n'est que l'amour sous un drap de lumières ridiculement attentives.
Ses lèvres sur sa mâchoire, Hiro sait.
Elle est douce et dangereuse, sa voix glisse le long de sa peau et il l'écoute, le regard entièrement dévoué à ces quelques lignes qui font de son visage la plus belle peinture qu'il ait jamais admirée lorsque nu et défoncé. Ses lèvres dévoilent ce sourire auquel il l'a tant  habituée, celui d'Hiro quand il est sur le point de baiser, alors il quitte sa clope pour quelque chose de plus déchirant encore. Et puis ça a l'air de reprendre vie, comme si ces quelques paroles avaient remonté les aiguilles de l'horloge inanimée sur le mur d'en face, à l'heure précédente. Je pense pas qu'elles s'en remettront cette fois-ci. Il en est à relier sa gorge à sa clavicule, impassible. Tu sais. L'air qu'il expire, sali du tabac et de l'envie, s'écrase contre la peau fine de son cou. Ça te va bien, Fox.

On vit, comme des menteurs. Pas étonnant que ça juge là-haut. Vous savez les gens dans cette ville n’ont pas été les plus courageux. Quand tout s’effondrait, ils n’ont pas hésité à mettre des bâches sur leurs bateaux de location, au fur et à mesure, les serrures ont rouillé, les fenêtres se sont décalées d’un centimètre, sans que plus personne puisse les ouvrir. La fissure géante s’est faite, elle s’est tracée sur la poitrine de Fox, le temps que sa mère secoue la main, lasse, qu’elle prenne les clefs de la dernière voiture vendue, trace la route. Mais c’est elle, qui rêvait d’aventure, Rizzo. Hiro, il la lui donne, elle n’ira pas le cracher de ses poumons, qu’Hiro a le souffle qu’elle perd un peu plus chaque jour. Sans jamais s’arrêter, le défi de ce soir suit celui des autres, pendant que ses phalanges rencontrent les indissociables creux de sa gorge, remontent au sommet de son arcade. Là, son oreille, où elle vient murmurer le nom des déchus, le nom de ceux qu’elle n’aura su aimer qu’à la fin de la minute de paradis. Hiro, c’est pas le paradis, Hiro, c’est l’univers, les constellations se marquant à la peau, des bleus, des traces, des mensonges. Parce qu’on vit mascarade, qu’on finit le tour pour l’épouser. Hiro dessine une nouvelle planète contre ses épaules roses, contre ses seins grandioses, contre sa gorge mauve et ses poignets diaphanes, il dresse tout le portrait de ce qui n’existera sans doute jamais, qui la surprend d’une hilarité infime, là, qu’explose, dans le silence, le silence jusqu’ici entrecoupé de lleurs soupirs. Aussi simplement, nous sommes des menteurs, Hiro. Aussi simplement, elle pleure, elle pleure, tant le souvenir est bon, elle pleure, parce que c’est effrayant, de voir renaître son atmosphère, autour du garçon qu’elle a promis de distraire du chant de Mars. Hiro, s’il te plait. Reste avec moi.

Quand il n'y aura plus personne là haut pour les observer, quand le ciel saignera pour laisser le soleil s'y installer, ça sera à Hiro d'être spectateur. Il aura gravi les étages de son cadavre préféré et quand il sera sur le toit, tout s'arrêtera. Il foutra sa musique à fond, allumera sa clope, se posera contre les quelques briques abîmées par le temps, et puis il appréciera la vue comme il le fait si souvent, parce que c'est essentiel d'apprécier les jolies choses. C'est pour ça qu'il apprécie Fox, elle est jolie, même quand elle pleure, même quand ses murmures sont insensés. Peut être que c'est la nuit, peut être que c'est l'envie, il ne sait pas. Pleure pas. Et il recueille son chagrin du bout de ses doigts, parce que c'est à ça qu'ils servent ; ils apaisent, effacent, lui font oublier.
Mais Hiro, c'est pas de ces hommes qui restent, il ne l'a jamais été. Comme les étoiles, il est spectateur qui se lasse et disparait. Si je décide de rester, tu arrêteras de pleurer ? - Il peut bien faire une exception, regarder la façon dont la lumière ranime cette pièce morte, observer le lever du soleil, allongé sur le vieux matelas usé, et l'apprécier quelques instants de plus.
Ses lèvres contre les siennes, il pense beaucoup - ses doigts épousent et cherchent, rassurent. Allez, Fox, qu'est ce que t'en penses ? on choque les étoiles ou on les fait rêver ?

C’était leur façon de se taire, la nuit prenait leurs corps, entre les ombres hésitantes, il faisait déjà un peu jour. Mais c’était eux. Hiro et Fox. Ils n’étaient pas faits pour attendre, ils préféraient se rendre saouls en usant de l’autre, après tout on se servirait d’une pilule magique pour atténuer la douleur ensuite. Elle, n’était pas bien sûre concernant Hiro. Est-ce-qu’il avait mal ? Ironique, pas vrai. Fox pleurait. A priori, Hiro vivait bien au milieu des ruines de ce qui avant savait former quatre murs. Les étoiles s’effaçaient, se dissimulaient à suivre celles qui lâchaient, clamsaient, abandonnaient, ne voulaient plus entendre l’histoire tragique du garçon qui s’en va et de la fille qui apprend à rester. Hiro, elle l’a rencontré au pire, et comme le meilleur ne venait pas, il n’était pas parti. Alors le puzzle commençait à s’assembler. Chaque jour, c’était une partie de gagnée contre le monstre de pixels qui les enfermaient entre les murs du labyrinthe du jeu vidéo qu’était devenu leur vie. J’arrête, j’arrête elle fait, la voix s’écaille en décibels, loin de vouloir se taire, loin de vouloir offrir ses silences à l’imperturbable ciel, les ongles de Rizzo s’accrochent au tendre Hiro. Hiro, il continue de parler, elle préfère souffrir, ouvrir un peu les yeux, des ovales qui s’épuisent, se baignent de larmes dont plus personne ne veut. Même pas elle. Les étoiles, fais-leur peur Hiro. Prudente, elle le pousse, légère, elle s’écrase contre ses paroles, lui fait regarder ce qu’il semble fuir depuis le début. Celles qu’il faut faire hurler, de leurs plus belles flammes. Leurs belles, splendides étoiles. Les poignets du garçon, elle y mêle ses doigts, le capture, au dessus de ses yeux, son front d’enfant et ses sourcils, peureux. Fox, elle le veut, elle le prend, de sa stature si imposante, plongée dans les iris préoccupées de la bestiole surprise. Elle aime tant être calme, d’habitude. Plus calme que les jours où elle l’envoie chercher les jolies pastilles en ville. Qu’est-ce-qu’il y a ? Je ne te plais plus ? Des baisers, sur son cou, à l’épaule, une étreinte, appuyée de ses attendris soupirs.

Ici, on vit la nuit. Les faibles l'abandonnent ; eux, ils l'accompagnent, ils l'embrassent et s'embrassent, et jamais ils ne s'en lassent, toujours ils s'enlacent. Ils n'ont besoin de rien d'autre que d'eux-mêmes, de rien d'autre que de l'univers pour aimer à leur place. Il n'y a que les taches dans le ciel pour leur tenir compagnie, et quelques âmes tristes sur les bords du trottoir, qui ne sont ni tout à fait vivantes, ni tout à fait mortes. Hiro il revit, la nuit. C'est un nouveau souffle qui se mêle à celui, frais, de la ville. Et quand on ne voit rien, si ce n'est que la faible lumière des lampadaires malades, on ne regarde plus. On inspire, on avance, on ne dit mot. Parce que ça pourrait être dangereux, mais oui ! La nuit, c'est la plus belle cachette des hommes charmants ; des perdus, des paumés, des crevards et des crevés. Et puis il y a Hiro. Il leur vend du rêve en poussière parce qu'ils n'ont plus que ça pour rêver. Lui, il a Fox, et ce soir, ça lui suffit. Il y a que. Ses doigts effleurent son manque de pudeur, elle le surplombe de son corps fragile, un regard à le transpercer mille fois. Comme ça, je vois plus le reflet des étoiles dans tes yeux. Parfois, il ne la reconnait pas dans les lueurs d'un ciel éveillé, et il lui arrive de la prendre pour une de ces belle inconnue qu'on pourrait aimer l'espace d'une nuit. C'est dommage.

and when i turned to look where you should have been i started drifting
i tried to stare into your eyes and realized that there was something missing

Peut être qu’à plus voir ses yeux s’emporter de tristesse il a fini par respirer normalement Hiro, c’est facile, pour Hiro, elle le jalouse Hiro.
La patience. Son pouce rencontre le reste de sa bouche, elle ne l’a pas touché ici, pas prouvé que c’était bien réel. Peut-être s’est-il cru ailleurs, y avait de quoi ne plus retomber dans leur sang, elle pouvait sentir les impatientes nervures s’agiter au coin de sa peau, si tout se démultipliait dans sa tête, au contraire elle s’arrête. Et doucement sans une réponse elle effleure les côtés de sa nuque qui veulent de ses morsures de renard apeuré, le dommage transformé en peine et les plaies qui continuent à s’faire, des fleurs sur le haut de ses épaules. Les impétueuses tournures se prennent quand ses ovales maquillées se dressent sur Hiro et elle soupire longuement qu’il ose la tenir, cette nuit. Elle se demande si; les champs du garçon n’ayant pas brûlé, serait-il resté. Serait-il capricieux, à la rattraper entre ses dociles attentions, serait-il silencieux pour une étoile qui s’éteint au bon vouloir d’un interrupteur ruiné. Elle est défectueuse, Fox, elle est cassée et elle ne sait plus rester debout si tard, elle s’attache, contre sa poitrine de courageux et ses belles paroles, elle s’attache à lui quand elle rend nerveuse les astres malades, elle s’attache à lui quand elle amène son nom à son oreille, elle sait que c’est pas l’vrai, pourtant elle reste, là à vivre un peu. J’suis désolée, désolée. Fais ce que tu veux, Hiro. Je t'aime pas, Hiro. Elle l’attire par sa joue infidèle, reste près, incroyablement près.

Les belles choses, elles sont éphémères, comme la vie, comme cette nuit ; on inspire. Une, deux, trois secondes, l'horloge immobile, on expire, on a pas le temps d'inspirer une nouvelle fois, parce que c'est comme ça qu'ça marche ; le temps, c'est un bâtard, il attend personne, il trace sa route d'égoïste et lâche les poids un à un. Hiro, c'est pas un de ces poids qui s'écrase contre le bitume. Il a compris, il s'attache pas, et quand ça finit par disparaître, il est là, dans l'ombre des monstres de Détroit, à regarder. On peut plus se permettre ce genre de faiblesses, qu'il dit, y'a pas l'temps pour ça. Fox, c'est pas une faiblesse, c'est quelques pas saccadés des aiguilles de l'horloge, jusqu'à ce que le jour se lève et que les draps refroidissent. C'est une habitude, c'est une évidence. Elle est jolie comme ça, le rose colorant ses pommettes et l'ombre habitant son regard, le bout des doigts contre sa peau et ses lèvres sur sa gorge. Elle est lassitude et fougue, elle a la langue glaciale et la bouche brûlante, c'est de ces personnes qu'on ne connaitra jamais assez. Elle aussi, elle disparaît. Eh, c'est rien. Il a sa main qui effleure les lignes de sa joue et le visage qui s'approche un peu. L'amour, c'est pour les gosses. Et ça passe de sa mâchoire à son cou, à sa poitrine, à ses hanches. On a pas l'temps pour ça.

Non on a plus l’temps. Si on mettait un magnéto capricieux devant son visage, y aurait les sentiers embrasés qui défileraient et elle prendrait quelques minutes pour s’enfouir au creux de son cou, elle viendrait rugir au bord de ses autoroutes, elle le prendrait pour un monde en entier. Elle le sauverait, elle y arriverait. Une fois, déjà, c’est arrivé. - le feu avait pris la ville et la ville avait hurlé - Rizzo était restée sur le trottoir, la clope entre les doigts, pas certaine de l’accident, presque sûre d’être témoin fiable et les flammes sur les paupières, et la fatigue sous les ongles. Il parait qu’un homme est mort, ce jour-là, quand elle a attrapé Hiro sous ses draps, elle a éteint des peurs sur sa colonne, elle a embrassé des plaies, ensuite. Comme aujourd’hui. Elle s’est enfuie. Hiro équivaut à une taffe. Et Hiro prend sa poitrine de spasmes illégaux. Des anémones, au bord de l’eau, se sont attachées à sa peau, Hiro. Il est devenu translucide, elle a ri. Fox, t’es une enfant, est-ce-que tu comprends ? Le renard mord son espoir à la gorge. Faut le lâcher maintenant, prendre tes fringues, pleurer une fois, partir sans payer l’addition. Oh, non attend, Hiro travaille pour toi, te donne pas ce mal. Tu me fiches la trouille. Elle va pas s’le donner, pas vrai ? Voilà. Voilà elle se tient debout devant lui, allume un de ces pédés, s’avance contre le bord de la fenêtre, elle a pas réussi à en vouloir aux étoiles. Elle est trop petite, avec Hiro, la mioche.

Parce que l'amour, c'est la fleur qui s'écroule sous son poids quand la chaleur du ciel n'est plus suffisante, c'est la pluie qui raye la vitre de ses sillons incertains, c'est le temps qui bouffe les murs d'argile pour ne laisser que des carcasses décomposées ; c'est un peu tout ça à la fois, et puis. C'est ridicule. Hiro, t'es jamais tombé amoureux, toi, tu peux pas comprendre, hein Hiro, c'que c'est qu'l'amour. Ça sert à rien, t'as raison, c'est chiant, c'est compliqué, on a pas besoin d'ça ici, à Détroit. On a pas l'temps pour ça. Il a les phalanges qui vont brûler sa peau d'un contact illégal, il tient son corps entre ses insolentes mains d'homme, et parfois il lui semble si fragile... si fragile qu'il se briserait à chaque petite maladresse. Alors Hiro, il est délicat quand il la porte jusqu'aux étoiles, juste au cas où. Mais Fox, elle s'en va, elle part toucher le néant du bout de ses doigts, alors il n'a pas d'autre solution que de lui rendre son souffle. Les astres, minuscules, au dessus d'elle, lâchent un drap de lumière frêle sur son corps, lui se redresse pour mieux voir. Elle a la posture de celle fatiguée d'aimer, alors il rit, parce qu'elle en est bien loin, même pour une nuit, même pour lui. Et quand le jour se lèvera. T'auras toujours la trouille ? Les cigarettes, elles dorment contre le bois de la table, il les dépasse. Dis Fox. Une main touche son poignet, celui avec la clope, et puis sa bouche contre ses os, il lui demande. Ça fait mal ?

Avale pas la fumée, idiote. Les poumons de la ville recrachent en pagaille les immeubles, des fenêtres aux vestibules, y a deux, trois gosses timbrés, qui s’affairent à récupérer au sol les vieux journaux. Elle, depuis a récolté tellement de papier, ça déborde au dessus de son armoire - son armoire ou, celle de Détroit ? Elle parie qu’c’est plein de cadavres, que ça attend de craquer contre les lattes du parquet - Ce soir elle y appuie ses pieds, elle a les genoux embêtés, des fourmis, pas la patience d’attraper de quoi se couvrir, de toute façon, c’est la fin. On aura tout vu, tout vécu, pas assez fouillé, pas assez profité. (tiré son coup)
Y a deux âmes (seules) esseulées ce soir. Y a deux poitrines affolées, prêtes à s’ignorer. Fox voit Hiro la retenir. Il est fasciné par les terreurs nocturnes, les fois où elle ne reconnaît pas ses accents illicites, elle pense que les étoiles se sont jouées d’eux. Elle a arrêté de fixer, au dehors, les curieux qui s’aventuraient encore, elle a stoppé l’incassable tic-tac dans sa tête qui la sauvait de sa fugue ridicule. Rizzo pose sur son voleur de souffle un regard paniqué, elle a tenté d’y arracher son emprise, en tirant, sans succès. Où est passé leur grand rêve, celui qui faisait fuir les étoiles à force de soupirs imparfaits, le garçon respecte donc pas son marché ? Hiro, dis, y a quelque chose que tu me caches. Faut bien dire un secret, faut bien justifier, qu’on a pas peur de se faire attraper de baisers. J’habitais là. Avant. Elle s’est penchée, la clope a flanché. Elle a attrapé son visage, qu’il se taise, qu’il pose pas de questions, elle l’a voulu dans ses bras, maintenant, tout de suite. Elle l’a voulu deux fois de suite.

Elle a le poignet glacé, tellement qu'à son contact, les ombres contre le plancher malade se mettent à trembler. Un tic de l'horloge, pas plus. Leurs âmes viennent se coller contre la vitre, à attendre que les étoiles quittent une à une le théâtre – les deux acteurs vont pas tarder à faire leur révérence avant de disparaître dans les coulisses de leur petit manège nocturne. Y'a plus rien à voir, si ce n'est que la chute dramatique des cendres sur le rebord de la fenêtre. Hiro, il a l'esprit fatigué, trop usé, ses doigts tiennent encore ce petit bout de la renarde, il est que quatre heures du matin pourtant. Qu'est-ce que tu fais de tes clopes sur la commode, de ton vieux jean par terre, de tes lèvres sur les siennes ? Il est l'heure, Hiro, faut rentrer. Hiro. Fox ; elle attaque sans prévenir, comme toutes les nuits scandaleuses passées à froisser les mêmes draps – défoncé, à un ou deux tours d'aiguilles près, t'es plus qu'un pantin animé par tes sens. T'as envie, et c'est tout. Cinq pas vers le lit. Le tac de l'horloge, pas plus, il caresse le creux de ses reins, toujours aussi froid. Il n'y a que son souffle pour lui brûler la peau, son souffle atteint de trop d'excès. Mais lui d'abord, elle en abuse, on avait dit qu'une fois, Fox.