cette nuit, je me suis réveillée avec le goût amer du cauchemar entre les dents. mon lit était une île (mon refuge) au milieu d'une mer de serpents. dans ma tête, une voix ne disait : te retourne pas. te retourne pas. à petit pas, le serpent rampait vers moi, sans vraiment m'atteindre. cette nuit, j'ai dormi avec un soupçon de mort dans mes entrailles. sa langue fourchue et ses dents pointues m'attaquant les joues.
quatre heures du matin, j'ai des yeux comme des globes. ils sont grand ouvert, et le sommeil m'a quitté. mon corps est en sueur, et est tout sclérosé.  j'ai l'impression d'être un vieux bâtiment en ruine, et le poids de ma carcasse pèse sur mon cœur en friche. des jeunes voyous ont pillé tout l'or de mon corps, et m'ont volé ma dignité. je suis décombres, ruines, vestiges, gravats et débris... mon corps est entièrement tagué de gros mots. j'ai été souillée jusqu'aux os. je suis comme cette vieille bâtisse laissée en jachère depuis trop longtemps.
hier, j'ai dit oui à un garçon. je l'ai suivi dans les sous bois. il m'a prise entre les ronces et les déchets. sous le regard des loups et des animaux sauvages de la forêt. il a joui et m'a laissé comme morte au milieu de ce désert.
et quand je revois son visage indifférent derrière mes paupières, je rêve de m'ouvrir le corps et enlever toute cette merde qu'il a laissé en moi. je rêve de brûler ma peau pour détruire les microbes qu'il a parsemé sur ma peau.
j'enfile un léger pull et je sors dans la nuit.
à l'heure où toute la ville est endormie. à l'heure où il n'y a que les vampires qui traînent leur ombre dans les rues.

mercuriales, virgil vernier

Le vent est frais. Il me glace jusqu'au os.
J'aime bien la nuit, quand il n'y a pas un chat dans les rues, et qu'il n'y a pas un bruit. Je marche un peu dans ma rue, vers le square qui fait l'angle. J'ai les yeux un peu bouffis par la fatigue. J'ai les yeux néons et je scrute l'obscurité à la recherche d'une proie, ou plutôt de l'agresseur. Je me sens un peu victime, toute seule à cette heure, à marcher en petite tenue. J'ai un peu peur. (J'étouffais à l'intérieur de ma chambre, dans ses draps moites et salis, au milieu de cette mer de reptiles).
Au loin, je vois une ombre gigoter au bout de la rue. J'me dis merde, je ne suis pas la seule à errer dans la ville à cette heure. Je m'arrête, prête à rebrousser chemin. Mais j'vois sa tête se tourner dans ma direction. Alors, j'continue à avancer en regardant mes pieds. Et quand je relève la tête, à deux pas de l'ombre, j'le reconnais lui : le gars de Romie. Bad luck, mauvaise rencontre. J'suis dans l'impasse, j'peux plus faire demi tour. Alors j'lève la tête et j'regarde droit devant moi, en essayant de ne pas me trahir en regardant vers lui. Je préfère l'ignorer plutôt que lui parler. De toute manière, qu'est ce que je pourrais bien lui dire ?

Il m'interpelle. Et merde. On aurait bien pu s'ignorer, comme le font tous les gens. Il a l'air en galère, alors j'me retourne et j'avance vers lui, timidement. - Salut. Dans ma voix, j'ai l'air morne et triste. Ou bizarre. Cette nuit, j'ai du mal à me montrer... comme d'habitude, avec cette couche de vernis, qui est comme une carapace. Ce soir, je me montre à toi sans artifice, sans maquillage, nu comme un ver. Mais, sans cette couche magique, j'ai du mal à cacher mon ressentiment. Je reste à deux pas de lui. Je conserve la distance qui est de coutume avec les inconnus, ou avec Max seulement, parce que je me méfie de lui. - Oui, j'vois ça. J'allume la lampe de poche sur mon portable, et le lui tends. - Tiens. Il a les mains toute noire de cambouis. - Le salis pas. Non, attends. Je reprend mon portable. Et me baisse à côté de lui. -J'vais t'éclairer. Tu cherches quoi ? Plus vite ce sera fait, plus vite, je pourra partir. Et éviter les questions malaisées : Qu'est ce que tu fais à cette heure dans la rue ? Tout seule ? Dans la nuit ? Qu'est ce que t'as dans ton regard ? Un mauvaise aventure ?

J'éclaire l'endroit où le mystère semble se trouver.
Et dans la nuit noire, on entend le hululement de la chouette.
Je sursaute ((car ce bruit ressemble étrangement au sifflement du serpent)).

J'lève la tête vers les arbres. C'est une chouette. J'vois ses grands yeux lumineux qui me fixent dans l'obscurité. J'me sens pas rassurée, mais je ne dis rien. J'ai pas envie de montrer à Max que derrière mes allures de jeune femme plein d'assurance, il y a une petite fille qui pleure, qui pleure, qui crie, qui se noie dans son torrent de sanglots.
Nos regards s'évitent. On est un peu gêné d'être ici tous les deux, réfugiés au milieu de la nuit. - Non. Pas vraiment, j'avais une soirée, mais un peu plus tôt dans la nuit... J'arrivais pas trop à dormir. Je vois qu'il galère avec ces trucs, je ne sais même pas ce qu'il cherche, et lui non plus, visiblement. Je souffle un peu, histoire de lui faire sentir mon agacement. Ma mère ne m'a pas élevé comme ça. Mais je ne sais jamais comment me dépêtrer des situations dans lesquelles j'ai horreur de me trouver. - Tu rentres chez toi ?

- Non dans une boîte en centre ville... Romie n'y était pas si tu veux savoir. Elle avait rendez vous avec un gars. Je sais pas pourquoi je lui dit ça, pour le provoquer, pour voir le feu attaquer ses joues d'enfants, pour lui montrer que leur pseudo liberté à deux balles n'est qu'une illusion. Les couples modernes, sans appartenance, j'y crois pas. Tout ça, c'est voué à l'effondrement (comme les vieux bâtiments laissés à l'abandon de Detroit). Parce qu'au fond, y'en a un qui va se révéler jaloux et il va commencer à gueuler gueuler gueuler puis taper taper taper. Et ce qu'on pensait être l'amour ne sera plus que les morceaux d'un vase brisé.
Même si je n'arrive pas à dissimuler mon ressentiment, j'ai de la peine pour lui. Je me sens garce avec mes airs de peste. On pourrait faire la paix. Pourquoi pas. Mais, lui comme moi, on n'ose pas le dire tout haut. Parce qu'on se sentirait vraiment con. - Nulle part. J'avais besoin de prendre l'air, c'est tout. J'ai toujours cet arrière-fond aride dans ma voix avec lui (parce que j'ai vraiment pas envie de parler de ça). - Écoute, je sais pas si tu habites loin, mais si tu veux tu peux déposer ton vélo dans mon garage et venir le chercher demain. Là, ça sert à rien de chercher, il fait trop noir.

Il joue la carte du mec qui en a rien à foutre. Ou plutôt du gars qui est tellement exaspéré par son malheur qu'il n'a même pas envie de montrer sa colère. Il me fait de la peine avec ses mains pleines de cambouis et ses cernes sous les yeux.
- Non, c'est vraiment pas très loin. Au coin de la rue. Il pousse son vélo. Et moi,  je marche à ses côtés, un peu gênée par la situation. Il y a comme un silence pesant entre nous deux. Et même si d'habitude je n'aime pas tellement parler, là, le fait qu'aucun de nous n'ose ouvrir la bouche me met extrêmement mal à l'aise. - Ça te fait beaucoup de chemin, après? J'essaye de m'intéresser un peu à lui, parce que, c'est le copain de ma meilleure pote et bien que je le connaisse depuis plus de cinq ans, je ne sais toujours rien de lui. Je suis restée fixée sur l'image que j'avais de lui comme un gars pas respectueux (ou pas respectable) après une soirée où il avait mal agit - parce que ça me plaisait de le voir comme un salaud. Mais, j'aimerai lui dire : tu sais, Max, c'est pas toi au fond. C'est tous les garçons.
Mais je n'arrive même pas à me le dire moi-même.

Non merci, je fume pas.
Il pousse son vélo d'une main, et je marche à côté. C'est drôle à voir, nous deux, marchant côte à côte, comme deux voyous après un cambriolage de minuit.
J'ai les bras croisés parce qu'il fait froid. Je n'ai sur mon dos qu'un petit gilet en coton, et mes jambes sont nues parce que je suis sortie en vêtements de nuit. J'ai la chair de poule, et je commence à trembler. Mais j'ai pas trop envie qu'il le voit parce qu'il comprendrait alors l'absurdité de cette escapade nocturne suite à un mauvais rêve. J'accélère légèrement le pas pour que nous arrivions au plus vite devant mon garage.
C'est normal d'aider quelqu'un en galère. Tu sais c'est pas parce que j'suis pas très aimable avec toi d'habitude, que j'peux pas te dépan une fois
Mes humeurs font un peu des bonds en ce moment, comme sur les rails sinusoïdales des montages russes.. Mais j'ai finalement très envie de retrouver mon lit au plus vite. Et de rentrer en sécurité dans mon salon.
Je vomis ma nuit et mes cauchemars nocturnes.