ce soir la nuit chante. j'ai quitté la maison tout doucement pour pas réveiller maman. j'ai vérifié qu'emma dormait puis je suis parti dans les rues, j'ai suivi le chemin des étoiles dans le ciel, éclairé par la lune et la faible lueur des réverbères. je suis le petit voleur des nuits enchantées : je ne sors que quand le ciel est vraiment beau, vraiment noir, que les astres se reflètent dans les flaques d'eau sur le bitume. il y a le silence qui rôde autour, il ressemble à un fantôme. il est invisible mais pourtant, je sens qu'il est là. il guide mon corps mon coeur et l'adrénaline qui monte, qui monte
quand je grimpe sur les toits
que j'ouvre les fenêtres avec mes outils magiques
et que j'entre dans ces maisons que je n'connais pas.
je sais jamais ce que je vais y faire et ce que je vais prendre, parfois c'est simplement des objets de rien du tout en guise de souvenirs, des trucs qui m'servent à rien si ce n'est que compléter ma collection de babioles.
là il y a cette maison qui m'interpelle parce qu'elle brille de l'extérieur comme si elle avait une âme, comme si elle était une personne.
j'y vais.

elle est couchée en étoile sur le lit de papa et elle observe le plafond. quand il est pas là, elle aime bien se glisser dans son lit trop grand et de s'enrouler dans les grandes couvertures. elle a l'impression d'être invincible, d'être protégée de tout. à ses pieds, y'a pluton qui essaie de dormir. il arrête pas d'entendre des bruits, alors ça fait un peu peur à pierrot. elle joue avec les draps et elle décide de compter les moutons pour s'endormir.
on dirait que la maison respire avec elle.
pluton se réveille (elle le sait parce qu'elle entend son collier cliqueter).
il bouge, et même qu'il finit par aboyer.
elle entend des bruits dans la cuisine.
non, non, non.
pierrot n'aime pas ça.
elle a même très peur.
elle sait que papa, il a un bâton de baseball dans son placard.
sans faire de bruit, elle sort en souris.
quand elle allume la lumière, elle voit un garçon de son âge.
- t'es qui et tu fous quoi ici ???
elle tremblotte et elle a pas l'air du tout menaçante.

oops. je crois que j'ai fait trop de bruit cette fois-ci. j'ai senti mon corps tomber lourdement sur le carrelage d'une cuisine éteinte, vide, sans odeur. la fenêtre s'est refermée d'un seul coup derrière moi comme si la maison ne voulait pas que je ressorte d'ici, comme si elle voulait m'emprisonner. je commence à regarder un peu partout à l'aide de ma petite lampe torche, pour voir s'il y a quelque chose d'intéressant à emporter... mais j'ai à peine le temps de faire un pas qu'il y a la lumière qui s'allume, et y'a une fille qui me regarde avec une batte de baseball dans les mains.
elle a l'air en colère. elle me fait pas peur mais on fait pas de mal aux filles, c'est maman qui me l'a appris. on fait pas de mal aux filles surtout quand elles sont jolies. "t'es qui et tu fous quoi ici ???" qu'elle me demande. j'ouvre la bouche mais à part des poussières d'étoile y'a rien qui sort (c'est la première fois que j'me fais prendre).
- euh... jjje.. je crois que je me suis trompé de maison
t'es bête ariel.

y'a sa voix qui tremble, au garçon, et puis y'a sa voix à elle qui tremble aussi.
- t..tu... ouais c'est ça...
dans l'autre pièce, un vacarme. pauvre pluton qui a essayé de descendre du lit tout seul, sans son aide. il arrive pourtant en trotinant, doucement, pour ne pas s'accrocher dans rien (il a un don, elle est sûre qu'il voit à travers ses paupières). elle enfonce sa main dans le pelage de l'animal pour ne plus trembler, pour ne plus avoir peur.
elle regarde le visage du garçon, ses cheveux courts, son petit nez en trompette. ça lui dit vaguement un truc. en plus, il est pas très vieux. il a le même nombre d'étoiles qu'elle.
- on s'est pas déjà vu quelque part ?
pierrot, quand y'a une nouvelle idée qui lui traverse l'esprit, elle oublie rapidement l'autre. elle est pas complètement idiote, alors sa main, elle reste bien ancrée à la batte de baseball. juste au cas.
- t'es pas à mon lycée ???
pourquoi t'es chez moi ? tu voulais voler un truc ? y'a rien à voler, ici, que des babioles et des animaux. puis pourquoi tu voudrais voler ? c'est pas bien, voler, tu sais ? (toutes les pensées dans sa tête se bousculent et elle sait plus trop où donner de la tête, la lune.)

j'ai jamais pensé à ça, à ce que je devais faire si jamais si je me faisais prendre. je cherche un truc à dire mais j'me sens tellement bête que y'a rien qui sort, vraiment rien. j'regarde autour de moi et je guette, j'ai peur qu'il y aie un adulte qui débarque et qui appelle la police... ça voudrait dire que maman serait au courant??? j'ai vraiment pas envie que maman le sache, elle a déjà bien des soucis avec sa maladie.
- euh oui je sais pas... peut-être au lycée je crois !
je suis pas de ceux qui retiennent un visage facilement. j'retiens la couleur du ciel et la position des étoiles dans la nuit, c'est déjà ça.
- tu es en quelle classe? et pourquoi y'a un chien qui crie là-bas?
j'espère au moins que j'ai pas réveillé les maisons d'à côté, la lune m'en veut déjà de l'avoir bousculée dans son sommeil nocturne.

sûrement au lycée, qu'elle pense. c'est la chose la plus plausible. il y dû longer les mêmes couloirs, voir la même matière, se moquer des mêmes professeurs et puis manger la même nourriture horrible de la cafétéria.
- t'as quel âge ?
c'était pluton qui s'affolait. mais il est là maintenant, et il sait que le garçon est là. il a entendu sa voix.
- c'est mon chien. il voit pas, alors il essaie de faire du mieux qu'il peut.
il a l'air un peu sur ses gardes. on dirait qu'il a peur que la police débarque et l'emmène à l'arrière de la super voiture aux lumières qui clignotent au rythme de détroit.
- c'est quoi ton nom ?

- j'ai 17 ans. et toi ?
à tous les coups la fille est plus jeune. elle a un visage de gamine mais elle est mignonne, je vois de la malice dans ses yeux encore endormis. je regarde derrière moi pour voir si par hasard la fenêtre ne se serait pas ré-ouverte (je crois trop à la magie)... mais non, aucune issue de secours pour moi, si ce n'est que courir vers la porte d'entrée, qui est certainement fermée. alors je reste là les bras les longs du corps et j'attends de savoir quoi faire, quoi dire.
son chien à la fille il est aveugle. c'est triste. c'est la dernière maladie au monde que j'aimerais avoir. je lui dis que je suis désolé pour lui même si ça changera rien.
- ariel.
j'attends qu'elle rigole parce que souvent les gens rigolent quand je leur dis mon prénom. mais non, rien. alors je souris (un peu) bêtement. - et toi?

dix. et puis sept. dix-sept ans. tout pareil. pierrot elle sourit, un peu nerveuse, un peu amusée. elle est contente qu'il soit pas plus vieux. sinon, elle croit qu'elle aurait peut-être eu peur. là, ils sont égaux (même s'il la dépasse de deux têtes et que ça le rend très grand). il fait une drôle de tête quand elle lui dit que pluton est aveugle. elle le comprend un peu. la gamine, elle aimerait pas ne plus voir. c'est affreux parce que le monde est tellement beau et on dirait des tableaux peints par dame nature.
il dit qu'il s'appelle ariel.
a-r-i-el.
c'est tout gentil.
c'est tout doux.
un peu comme son visage (on a envie de poser ses mains sur ses joues et de les flatter une heure de temps). elle laisse tomber le bâton de baseball contre le mur et elle sourit un peu plus.
- pierrot.
s'il attendait qu'elle se moque de lui parce qu'ariel, c'est un prénom de fille, elle s'attend à ce qu'il se moque d'elle parce qu'elle porte un prénom de garçon. c'est le monde à l'envers (srevne'l à ednom el tse'c).

pierrot moi ça me fait penser aux pièces de théâtre qu'on allait voir avec l'école le mercredi après-midi. y'avait un espèce de personnage, un clown blanc tout triste avec des perles de larmes au bord des yeux et je me souviens que j'aimais bien ce personnage car il était différent des autres. moi j'aime pas les clowns heureux, je les trouve ennuyeux.
- c'est beau comme prénom.
je lui souris parce qu'elle me sourit aussi, je crois qu'elle est rassurée de voir que le voleur n'est pas méchant. peut-être que je devrais prendre des cours de boxe ou quelque chose comme ça pour pouvoir me défendre un jour??? après tout je sais jamais sur qui je vais tomber mais je crois que mon corps ne supporterait pas tant d'exercice et alors maman se poserait des questions.
maintenant je me sens gêné... est-ce qu'elle va vraiment me laisser partir comme ça?? je sens mes joues qui rougissent.