Johnny fait pétarder sa moto dans l’allée de la maison. Il aperçoit même le visage de sa mère à la fenêtre qui, inquiète, l’observe. Il a nargue un peu, l’air de dire, qu’est-ce que ut peux faire, maintenant, hein ?
Pas grand-chose.
Ça y est, Johnny tient la liberté entre ses mains et il le jure, il n’est pas prêt de la lâcher.
Et puis en plus de ça il va emmener quelqu’un avec lui, à l’arrière. Il lui a promis, il n’a pas oublié.
Il fait crisser les pneus sous l’asphalte et roule vite, trop vite, mais ça bondit tellement dans son ventre, ça frissonne tellement sur sa peau qu’il a pas envie de ralentir. Il rêve d’une route infinie, du désert autour, de la chaleur étouffante et de la vitesse, la vitesse qui fait plisser les yeux et serrer les dents.
Son moteur pétarde jusqu’au parking de l’hôpital.
Il s’arrête au milieu des voitures, descend et allume une cigarette pour passer le temps.
Un jour, Moka lui a dit qu’il travaillait ici.
Un jour, Johnny lui a dit qu’il pouvait l’attendre.
Alors il l’attend.

Il se souvient pas de la dernière fois qu'il a vraiment passé du temps dehors.
Ça fait longtemps, Moka, qu'il reste cloitré entre les murs blancs.
A s’abîmer les mains pour aseptiser tout ça.
Et puis il a souvent pensé à lui.
À sa moto.
À ses lèvres, aussi (faut le dire).
Mais il est jamais retourné le voir.
Moka enfile sa veste rapidement,
peste contre lui-même parce qu'il a oublié de racheter des clopes.
Bon sang, comment il va faire.
Il passe les portes automatiques, enfonces les mains sans ses poches.
Et s'apprête à partir avant de tomber sur...
lui.
-Bah ?...
Bah oui. Il est là avec sa moto.
Prête à démarrer au quart de tour, et à les emmener loin d'ici.
Il a le regard qui brille, Johnny.
Et malgré lui, Moka sourit.
Il sait que ça fait longtemps qu'il attend ça.
-Tu m'as attendu longtemps ?
Question rhétorique, il fait déjà nuit dans le ciel.

Le jour décline lentement et Moja n’est toujours pas là. Johnny pense que c’est pas grave, qu’ils ont dit qu’il y avait toute la vie devant eux. Alors Johnny fume des cigarettes pour passer le temps et il regarde aussi les gens qui passent, ceux qui sont inquiets, ceux qui travaillent ici, ceux qui sont là mais qui savent pas pourquoi.
Johnny, lui, sait pourquoi il est là.
Et puis, là, entre les voitures, entre les rares silhouettes, il est là. Il est là, il y a ses yeux et ses traits fatigués, ses cernes aussi, ses vêtements un peu froissés.
- Bah ?...
Johnny sourit en grand.
Il ne sait pas s’il doit le prendre dans ses bras, l’embrasser comme la dernière fois, lui dire bonjour. Finalement il ne fait rien, il le regarde juste avec tout son visage qui sourit.
- Tu m’as attendu longtemps ?
Il hausse les épaules.
- Pas trop.
Il fouille dans ses poches et sort une cigarette et un briquet qu’il tend à Moka.
- T’as le temps pour une petite virée nocturne, ce soir ?
Johnny demande.
Et il espère que Moka dira oui.

-Pas trop.
(Ouf, il pense)
Il est beau, avec cet air heureux qui étire tous ses traits vers le ciel.
Il se dit que Johnny est l'exact reflet inverse de l'image qu'il renvoie, lui : la beauté, la pêche, la joie.
Moka regarde la moto,
il sent le palpitant s'emballer, si il est là avec son bolide devant l'hopital, c'est pour une seule raison... non ?
-T'as le temps pour une petite virée nocturne, ce soir ? (je le savais)
Alors ça y est, déjà ??
C'est bête mais Moka pensait que ce jour arriverait quand il aurait enfin réussi à guérir.
À ne plus avoir peur comme il a peur maintenant.
Il ébouriffe ses cheveux d'un coup de main (ça va pas faire partir le doute, tu sais?)
-...
Pincement de lèvres.
Il regarde Johnny, droit dans les yeux (tu sais je me demande si j'suis capable de te suivre, ce soir.)
-...D'accord. Mais c'est pas moi qui conduit,
mais ça va de soit non ?
J'y crois pas d'avoir dit oui, j'y crois pas qu'on va vraiment y aller...
Il inspire un grand coup. Il était pas prêt !! Il arrive comme ça et il lui impose de fait sa petite virée.
Moka réfléchit fort fort à ce qui va arriver. Et il sourit. Il a hâte (un peu).

Il y a un peu de silence entre eux.
Comme si Moka réfléchissait un peu, comme s’il se demandait « est-ce que j’en suis capable ».
- … D’accord. Mais c’est pas moi qui conduis.
Le rire de Johnny éclate dans l’air nocturne.
- Mais non.
D’abord Johnny s’avance vers Moka, il prend son casque et le met sur la tête de son nouveau compagnon de route. Il n’en a qu’un mais il préfère le donner à lui, comme ça il aura moins peur. Johnny ferme l’attache du casque, et, en même temps, sans faire vraiment exprès, il effleure la gorge de Moka.
Un sourire se dessine encore sur les lèvres de Johnny.
Décidément, il pourra plus jamais le chasser, celui-là. Parce que là, là il est bien trop heureux.
Il pourrait gueuler sa joie aux étoiles. Leur dire putain, regardez comme je suis content, regardez comme ça bat fort, là-dedans !
Il enfourche sa bécane et la démarre. Le moteur vrombit doucement dans la nuit.
- Monte derrière moi, tu peux passer tes mains autour de moi ou les mettre dans les poches de mon blouson, c’est comme tu veux.
Johnny le regarde, Moka et son casque sur la tête, il leur sourit encore à tous les deux et on dirait que les étoiles sont toutes tombées dans les yeux de Johnny.
Johnny bonheur, Johnny joyeux, Johnny a hâte qu’ils s’en aillent sur la route tous les deux.

Mais Johnny et ton casque t'en auras pas besoin ??
Mais Johnny mais si on se crash contre un bâtiment (encore) si on se râpe le corps contre le bitume lancé à toute vitesse sous nos deux corps insignifiants comment on va finir, putain comment il doit faire pour contrôler ses pensées qui partent dans tous les sens qui le paralysent qui...
et si...
Trop de doutes qui se percutent les uns les autres dans sa tête, qui créent un sacré bordel là haut.
Il arrive plus à réfléchir convenablement,
il sait pas trop si le cœur qui s'affole c'est ce casque sur sa tête qui veut dire « regarde ça y est vous êtes partis pour voler ! » ou ses doigts qui caressent sa peau volontairement ou pas.
Moka voudrait choper sa main et la serrer, lui transmettre un peu la panique qui bouillonne la dessous.
- Monte derrière moi, tu peux passer tes mains autour de moi ou les mettre dans les poches de mon blouson, c’est comme tu veux. 
-Ok. (t'en fais pas que je vais m'accrocher à toi comme une moule à son rocher)
Et c'est tout ce qu'il réussit à dire, avec sa bouche toute sèche et ses pensées en bazar.
Alors il fait ce que lui dit Johnny, il grimpe derrière lui,
avec ses mains qui l'entourent et qui se perdent dans ses poches (y'a des cartes et des papiers dedans).
Il se demande si il sent son cœur qui bat comme un fou dans son dos, où si le blouson sert un peu à ça aussi, à se protéger des coups de cœur des amoureux.
-Si on meurt, promet moi qu'on fera plus jamais de moto ! (Ouais parce que ça voudra dire que vraiment, vraiment, la route n'était pas pour eux deux)

Moka monte alors derrière lui et Johnny sent les mains du garçon se glisser dans les poches de son blouson. Il voudrait lui dire à quel point il l’a rêvé, cet instant. Il voudrait lui dire à quel point c’est immense, pour lui. Il a tellement attendu ça, il a tellement attendu que quelqu’un accepte de s’asseoir derrière lui, que quelqu’un accepte de partager la route avec lui, avec Johnny.
Il recule sa main et touche la cuisse et le genou de Moka, pour s’assurer que c’est bien réel, qu’il est bien là et qu’il ne s’envolera pas. Il veut plus le lâcher, là, Johnny. Il l’a trouvé et il va le garder contre lui pour pas le laisser partir.
- Son on meurt, promet moi qu’on fera plus jamais de moto !
Johnny s’amuse encore des mots.
- T’es malade, moi j’continue même quand j’serai dans le ciel.
Et encore plus quand il sera dans le ciel.
Imagine faire de la moto en orbite autour du soleil, imagine surfé sur le bitume des routes étoilées, imagine comment ça doit être dingue de s’asseoir sur une comète et de se laisser aller à la vitesse et aux particules lumineuses et étoilées, imagine un peu !
- Si t’as peur, tu cries.
Johnny a pas encore lâché la bête depuis qu’il l’a retapée avec Oscar.
Ce soir il compte bien faire rugir le moteur de sa nouvelle copine.
Il démarre et quitte le parking de l’hôpital. Il fait nuit et il emprunte des rues peu fréquentées pour éviter de tomber sur des flics, ce serait dommage. Une fois ou deux, il se retourne pour vérifier que Moka est là. Mais c’est bête parce qu’il le sent, là, tout contre son dos. Il sent la chaleur de son ventre sur sa colonne vertébrale.
Ils quittent la ville, ensemble, et devant eux, l’étendue de l’asphalte vers le nulle part.
Alors Johnny accélère peu à peu et le paysage et les lampadaires et les arbres et les maisons se confondent tous ensemble. Il sent l’adrénaline lui mordre le ventre, avec en plus la peur, celle d’être tête nue. Il sent le vent qui agite ses cheveux, qui les emmêle puis les démêle.
Des crampes au ventre, des crampes au cœur.
Le bonheur d’être libre, enfin, et d’avoir la belle sensation de s’en aller.

- T’es malade, moi j’continue même quand j’serai dans le ciel.
Et ça lui arrache un rire, il imagine Johnny un peu fantomatique filer à toute berzingue sur les routes du paradis.
Mais il rit pas longtemps, parce que.
Parce que dans deux minutes, le moteur démarrera, et que la bête les éloignera de la sécurité.
L'euphorie de Johnny est contagieuse, et puis sa main sur son genoux,
sur sa jambe,
ça le rassure un peu,
et il se demande s'il a le droit de lui dire qu'il lui a manqué tout ce temps.
C'est bizarre, y'a peu de gens qui lui manquent autant en temps normal.
Mais y'a rien de normal dans tout ça, hein, tu crois pas ??
- Si t’as peur, tu cries.
Je pense pas pourvoir si ça se trouve, je vais crever en pleine volée parce que j'aurai pas la force de crier.
Il hoche la tête mais ça sert à rien, Johnny peut pas le voir, vu qu'il démarre le moteur et les emmène loin.
Et puis dans un tourbillon de lumières et de couleurs et de formes, tout s'emmêle autour d'eux comme une peinture d'un nouveau genre.
Il a le cœur a cent mille, qui (il est sûr) rejoind celui de Johnny.
Et il comprend, ce que voulait dire Johnny. L'adré qui percute les parois de ses vaisseaux, avec toute la violence du monde.
Moka s'envole, silencieux,
sans aucune idée d'où ils vont mais il s'en fout.

Tout ce qu’il fait c’est forcer sur l’accélérateur. Il entend la moto rugir et il sent les poings de Moka se fermer un peu plus fort contre son ventre à mesure que l’aiguille avance sur le compteur.
Parfois Johnny serre les dents, parfois il sourit.
Il n’y a aucune voiture.
La route est à eux deux et à personne. Il zigzague entre les lignes blanches, fait des virages où la moto penche dangereusement sur le côté mais relève aussi tôt son bolide pour l’emmener filer encore plus vite. Il se retourne et la ville est loin derrière lui. Autour d’eux il n’y a plus rien, c’est un peu la campagne, il n’y a même plus de maison. Seulement la route et la nuit et les étoiles au dessus d’eux et le silence brisé par le moteur et le rire de Johnny qui, de temps à autre, éclate.
Il ralentit peu à peu et gare sa bécane le long de la route. Cette dernière est bordée d’une espèce de clairière où l’herbe est haute.
- On s’arrête ici, un peu, d’accord ?
Il attend que Moka mette pied à terre puis il pousse sa moto jusque dans la clairière où il l’allonge sur le côté. Johnny pense qu’il faut savoir faire des pauses. D’abord pour le réservoir d’essence mais surtout parce qu’il veut économiser ces instants précieux passés à chevaucher le bitume froid.
Il regarde Moka et il lui sourit grand comme quelques galaxies.
- Putain … je … t’imagine pas comment j’suis heureux là.
Là, ici, avec toi.
J’suis tellement heureux que je voudrais te prendre dans mes bras, te serrer très fort, t’embrasser aussi pour me rappeler le parfum cigarette/garçon de ta bouche et puis j’voudrais te dire merci aussi
merci
merci
merci.

Le temps passe et les maisons trépassent.
Et plus ça va moins il a peur,
et plus ça va plus il s'envole.
Le cœur bat toujours un peu plus vite que d'habitude mais ça c'est normal, quand on part en virée-bécanne avec Johnny aux commandes.
Il apprend à aimer. À laisser les sensations s'emparer de lui, le calmer, l'apaiser.
Il parle pas en route, il dit rien il se laisse penser sentir/ressentir.
Puis de toute façon Johnny n'entendrait pas, si ?
Comme la route a l'air de ne plus vouloir jamais s'arrêter, là à creuser des cicatrices entre les champs baignés dans l'ombre et le rien alentour, Johnny s'arrête.
Ou juste qu'il en a eu marre un moment, ou qu'il voulait avoir le temps de respirer et de réaliser que son rêve, il s'est matérialisé (pour de bon, t'y crois Johnny?)
La moto finit couchée dans l'herbe, sûrement que faut qu'elle refroidisse.
Quelque chose comme ça.
Moka regarde Johnny.
Johnny le regarde en retour.
- Putain … je … t’imagine pas comment j’suis heureux là.
Si, il imagine, il le voit, c'est comme s'il était tout auréolé de bonheur Johnny. Ça lui gonfle le cœur.
-Si. Si parce que c'est pareil. J'me suis laissé porter et c'était...
C'était. Sans mot assez fort pour le décrire.
-Je crois que tu m'as guéri. Pour de vrai.
Il lève les bras et les met derrière sa tête, la lève vers les étoiles, encore témoin de leur trajet commun.
Johnny je veux recommencer. J'veux que tu m'emmènes jusqu'au bout du monde à l'arrière de ta bécane.
Et puis. J'ai envie de te sentir contre moi encore une fois, juste une, une dernière ?

Le cœur de Johnny prend toute la place dans son torse. Il est même sur qu’il monte jusque dans la gorge et descend jusque dans le ventre. Il se sent vivre, vraiment. Il s’est senti vivre sur les toits, la dernière fois. Mais là il se sent plutôt comme un sur-vivant, comme un garçon invincible.
- Si. Si parce que c’est pareil. J’me suis laissé porter et c’était …
C’était magique, c’est ça ?
Hors du temps, incroyable, dingue, fantastique, malade, on recommence quand ? Voilà comment il se sent Johnny. Après tout ce temps passé sans moto et sans vraiment personne, ce soir il a réuni les deux et ça le rend tout chose, ça lui fait rosir les joues et ça agrafe un sourire incroyable sur les lèvres.
- Je crois que tu m’as guéri. Pour de vrai.
Moka dit ça en regardant les étoiles.
Johnny lui sent son cœur gonfler et battre encore plus fort, encore plus grand. Peut-être qu’il va sortir de sa poitrine.
Alors Johnny rompt la distance entre Moka et lui. Ce soir il veut vivre, vivre ensemble, avec lui, avec Moka, il veut qu’ils se sentent tous les deux très vivants et plus forts que tout. Ses paumes froides tiennent le visage du garçon comme un étau et il l’embrasse. Il l’embrasse une fois, deux, trois fois. Il l’embrasse longtemps, avec tout son corps, tout son visage et tout son cœur. Ça lui électrifie la peau, le bout des doigts. Il respire très fort. Il ferme les yeux et ses pouces glissent sous les yeux de Moka.
Se sentir vivant c’est ça aussi, c’est pas seulement la moto.
C’est aussi un beau garçon (du dedans et du dehors) qu’on peut embrasser là, au milieu de nulle part, sous les étoiles (les bienveillantes). C’est un beau garçon avec quatre lettres dans son prénom qui lui fait énormément de bien. C’est un beau garçon avec qui il voudrait discuter pendant des heures, danser aussi, un beau garçon qu’il voudrait embrasser et même plus encore.
- Tu m’guéris aussi.
Johnny prononce, tout bas. Et il colle son front contre celui de Moka et il le regarde, bien droit dans les deux yeux.

Les yeux dans les étoiles.
Celles du ciel, et puis toutes celles qui explosent derrière ses paupières quand Johnny rompt la distance entre eux.
Lui et lui.
Eux deux comme un seul cœur qui bat à l'unisson.
Non, n'importe quoi. Celui de Moka bat n'importe comment, il sait même plus ce que veut dire régularité, rythme ou quoi que ce soit d'organisé.
Et si le palpitant s'est perdu, il en va de même pour ses mains.
Ses mains qui partent en exploration sous la veste de Johnny, qui frôlent la peau du ventre du dos des côtés.
Qui les effleurent, les touches de piano, qui les décomptent,
et son souffle qui s'égare qui se méprend lui aussi, qui se mêle à celui de Johnny.
Et lui qui ne savait pas, après la dernière fois...
(si c'était raisonnable, s'ils ne risquaient pas de s'écorcher un peu trop après la collision de deux cœurs atomiques)
...croit maintenant savoir.
Il sait que « je sais pas si c'est raisonnable » que « c'était qu'une phrase dans notre vie » que tout ça, ce serait du pur mensonge.
Il veut plus qu'un paragraphe. Il exige au moins un chapitre ou même pourquoi pas une bibliographie rien que pour eux deux.
- Tu m’guéris aussi.
Et Moka sourit. C'est peut-être ça que tout le monde recherche en aimant quelqu'un. Trouver l'amour pour panser ses blessures. Pour réparer les cœurs abîmés. Pour le protéger de tout. Parce que là, rien ne semble pouvoir l'atteindre.
Moka l'invincible.
-J'demande qu'à continuer. (ça sonne un peu comme un "j'vais essayer" ça non?)
Il effleure ses lèvres du pouce. Les vole pour un nouveau baiser.
-On dirait que tu brilles sous les étoiles. Mais je crois que tu brilles de l'intérieur. C'est la moto qui t'a rendu ivre.

Qu’est-ce qu’ils sont, tous les deux ? Qu’est-ce qu’ils ont, tous les deux ? Est-ce que ce sont deux médecins du cœur et deux malades qui se rafistolent avec pour médicament la route, la liberté et un peu de tendresse au milieu de tout ça ?
Moka a un sourire sur les lèvres.
Johnny pense qu’il ne l’a pas beaucoup vu, ce sourire. Qu’il doit être rare, et précieux.
- J’demande qu’à continuer.
Ils s’embrassent encore.
- On dirait que tu brilles sous les étoiles. Mais je crois que tu brilles de l’intérieur. C’est la moto qui t’a rendu ivre.
Là, Johnny rougit un peu, il ne sait pas trop pourquoi. C’est que parfois Moka dit des choses et des belles choses, et Johnny lui ça le touche en plein cœur. Parce qu’il est pas vraiment habitué à ça. À ce qu’on s’occupe de lui, à ce qu’on lui dise les mots qui font du bien, ceux qui pansent et qui rassurent.
- Pas que la moto.
Il dit.
Johnny prend la main de Moka dans la sienne et il se laisse aller dans l’herbe, allongé, en entraînant le corps de Moka avec lui. Il a les doigts qui tremblent un peu. Parce que Moka, c’est l’inconnu. C’est un torse de plat, des bras comme les siens, un peu de barbe sur les joues et sur le menton, des veines saillantes sur le dos de la main et dans le cou. Alors, lorsque Moka est étendu à côté de lui, Johnny laisse également l’une de ses mains explorer sous le tee-shirt de Moka. Il sent son nombril, sa taille, le relief des côtes. Il se demande si Moka a des grains de beauté qui formeraient un ciel sur son épiderme.
- T’as pas eu peur tout à l’heure ?
Il demande.
Parfois Johnny confond l’adrénaline et la peur.
De l’adrénapeur à 140km/h sur l’autoroute (il est monté jusque là tout à l’heure).

- Pas que la moto.
Ça le fait rire (il avait oublié ce que c'était la légèreté, l'insouciance et le gros muscle à l'intérieur qui essaye de s'envoler)
et puis il redessine du bout des doigts le contour de sa mâchoire.
Là dans le noir il peut pas voir les rougeurs qui viennent marquer ses joues mais sûrement que ça aussi ça l'aurait fait sourire, et qu'il aurait bien voulu les aggraver ces marques.
La main de Johnny le tire au sol.
Il résiste pas Moka, il résiste plus malgré les doutes et les questions et les « et si » qui ont pu le faire hésiter un temps.
Non, fini les hésitations.
Moka se laisse tout entier happer par la nuit, avaler par les hautes herbes. Par le contact fragile des doigts de Johnny qui galopent timidement sous son t-shirt.
Tu sens comme ma peau réagit ? Un peu éberluée par ce qui lui arrive.
Finalement les mains des garçons n'ont rien de trop différent avec celles des filles.
- T’as pas eu peur tout à l’heure ?
-Non. Enfin. Au début oui, sans doute. Et puis après non.
Il tourne la tête vers lui.
-Mais j'ai peur de me laisser avoir par le rêve. Et si tout ça s'enfuit demain ? Si tout s'évapore quand le jour se lève ?
Il craint rien pour le moment, parce que Johnny lui fait l'effet d'un rail de coke. Rien de peut l'atteindre cette nuit.
Mais il sait que demain. La vie redeviendra normale.
Morne. Morte. Le sourire s'efface un peu.
-Parce que demain ce sera le retour à la réalité. Le retour à l'hopital, et puis avec cette même fille qui arpente les couloirs comme le fantôme qui vient me hanter. Me rappeler comme j'ai été fou ce soir là.
Il attrape ses doigts, effleure sa joue un peu piquante. Une joue de garçon.
Moka pense pas avoir évoqué une seule fois la fille de l'hopital. Il regarde Johnny.
Il a un peu honte de lui parler d'elle. De lui dire qu'il se sert d'elle, qu'il attend d'elle ce pardon qui ne viendra pas laver ses péchés.

Johnny apprécie l’intimité que leur offre la nuit. Il pense qu’il est plus à l’aise, comme ça, avec l’absence de lumière et le ciel noir au dessus de leurs têtes. Il se dit aussi qu’à chaque fois qu’il a vu Moka, c’était pendant que le soleil se couchait ou pendant la nuit. Il ne sait pas à quoi ressemble Moka dans la lumière du soleil, avec les rayons qui ravivent des couleurs nouvelles au fond de ses yeux. Il pense que ça doit un beau spectacle que d’avoir le visage de Moka découpé dans la lumière vacillante du matin, avec toutes les imperfections de la peau et les détails magnifiques, ceux que l’on remarque le plus.
-Non. Enfin. Au début oui, sans doute. Et puis après non. Mais j'ai peur de me laisser avoir par le rêve. Et si tout ça s'enfuit demain ? Si tout s'évapore quand le jour se lève ?
Johnny fronce les sourcils. Ils se regardent tous les deux. Celui au blouson de cuir tend les doigts pour aller effleurer la joue de Moka. Pour le rassurer, pour le conforter dans l’idée que ça n’arrivera jamais. Et comme pour lui dire regarde, je te touche, tout ça est bien réel.
- On peut décider que ça ne s’arrête jamais.
Johnny souffle.
Comme un secret. Un secret rien qu’à eux, bien enfermé entre leurs paumes scellées.
-Parce que demain ce sera le retour à la réalité. Le retour à l'hôpital, et puis avec cette même fille qui arpente les couloirs comme le fantôme qui vient me hanter. Me rappeler comme j'ai été fou ce soir là.
Johnny a toujours cette même mine renfrognée sur le visage. La fille de l’hôpital, ça lui rappelle quelque chose. Non, quelqu’un. Il la connaît, lui aussi. Il se rapproche alors de Moka pour ne plus voir ses grands yeux tristes et il le prend dans ses bras comme il peut, en étant allongé. C’est une étreinte un peu ratée, elle ne ressemble à rien, mais là Johnny y met tout son cœur.
- Tu sais moi je crois que la vie c’est ça, c’est un peu d’instants de rêve et puis de longs moments d’épreuve. Et moi je pense que quand tu es dans les instants de rêve, il ne faut pas que tu penses à ce qu’il y aura après, à la descente, à tout qui s’écroule.
Sinon les instants de rêve sont gâchés, on les piétine, on les souille et le retour à la normale est plus violent.
Johnny lui n’y pense jamais.
Quand il est avec Moka il souhaite toujours que ça dure pour l’éternité. Il enfonce alors son visage contre le corps de Moka et il embrasse la poitrine du garçon, là, par-dessus le tee-shirt.  

Johnny aurait pu se passer de tous les mots du monde.
Son bras qui entoure son corps, maladroit,
ses pupilles qui menacent de le noyer.
Vraiment, tout ça suffisait déjà bien assez.
Et puis les mots qui s'échappent aussi suffisent à alléger un peu le poids de la culpabilité.
Voilà Johnny. La dernière fois, je t'ai raconté le début. Maintenant tu as la fin.
Tu peux me blâmer, me détester, me traiter d'abominable salaud.
T'aurais le droit ouais.
Mais non, il se rapproche, (il l'abandonne pas) et puis il lui réchauffe le cœur de toutes les manières.
- Tu sais moi je crois que la vie c’est ça, c’est un peu d’instants de rêve et puis de longs moments d’épreuve. Et moi je pense que quand tu es dans les instants de rêve, il ne faut pas que tu penses à ce qu’il y aura après, à la descente, à tout qui s’écroule. 
Il lui dit ça avec son regard tout doux. Il a envie de plonger dedans et de ne plus jamais émerger.
Ses doigts s'égarent dans ses cheveux ébouriffés par le vent de la course.
Et puis relèvent le visage à sa hauteur, pour l'embrasser.
C'est un baiser « merci », un baiser qui veut lui dire de ne plus jamais repartir de sa vie.
Dans son ventre les tripes s'enflamment, et ça se propage peu à peu à ses veines son sang son cerveau.
Il peine à refréner son envie (mais à quoi bon essayer???)
Alors au diable les limites.
Il capture ses lèvres et puis son corps, il se déleste des derniers doutes et décide de se taire.
De laisser parler ses gestes.
La suite n'appartient certainement qu'aux étoiles, qui ne doivent pas être témoin d'une telle scène pour la première fois.
Entre deux baisers (il délaisse parfois ses lèvres pour dévorer sa gorge) il songe à tout ce qu'ont vu les étoiles et à tout ce qu'elles pourraient raconter sur ces innombrables amants admirés depuis les cieux.

Les mains de Moka soulèvent le visage de Johnny et ils s’embrassent (encore). Johnny pense qu’un baiser constitue une très bonne réponse pour remplacer les mots, parce que ça veut dire beaucoup de chose. Ça peut vouloir dire merci, je t’aime, tu es beau, viens voyager avec moi, j’ai plus les mots (…).
Puis, très naturellement, comme deux corps qui sont tombés amoureux l’un de l’autre en se fréquentant trop souvent, les deux garçons se rapprochent et s’enlacent de plus en plus fort, de plus en plus tendre. Johnny a abandonné son blouson à la nature pendant qu’il s’abandonne aux bras de Moka.
Moka est un objet céleste, un système solaire, une galaxie.
Il a des mains soleil pour réchauffer la peau de Johnny dans la nuit. Il a des baisers remplis d’étoiles, ça fait des big-bangs sous les paupières de Johnny. Et son corps est un fantastique astéroïde, une magnifique étoile, et Johnny aime l’enlacer. Il découvre tous les reliefs de Moka, et parfois ça fait tout drôle parce que ce sont deux garçons, et qu’ils sont tous les deux un peu pareils.
Un torse plat, des jambes poilues, des bras musclé, des joues qui piquent un peu, des épaules carrées, des genoux avec des cicatrices (…).
Ils montrent alors au ciel tout leur amour, toute leur tendresse mais aussi toutes leurs maladresses, leurs corps qui se cognent parfois sans faire exprès, leurs baisers qui dérapent un peu sur la mâchoire ou sur le front. Mais tout ça n’appartient qu’à eux, qu’à leur bulle de rêve sous les étoiles.
Johnny et Moka sont étendus tous les deux, l’un contre l’autre. Johnny garde la main de Moka bien serrée dans la sienne. Il ne veut pas qu’il s’envole, il veut le garder avec lui.
Ça lui picote encore de partout au fond du ventre et un peu partout dans les bras, les jambes, la bouche, la tête.
Johnny se demande si tout ça veut dire quelque chose, si demain ils seront un couple ou s’ils continueront d’agir comme d’habitude, c'est-à-dire à danser sur les toits, à se croiser pas souvent et finir toujours dans les bras de l’autre.
Il tourne la tête vers Moka et sa main libre vient toucher sa mâchoire.
- Tu es très beau.
Il murmure tout bas.
Beau comme un ciel, beau comme la terre, beau comme un garçon, beau avec ses yeux fatigués, avec ses restes de paillettes dans les yeux …
Beau comme Moka.