minuit, midi, deux heures, ce soir, hier matin, elle ne sait plus où se situer dans l'espace-temps et pourtant le ciel est clair, y'a encore des trainées roses qui flottent au-dessus des nuages. sommes-nous aujourd'hui? sommes-nous demain? la nuit d'hier s'est-elle réellement passée?? elle a encore les effluves du rhum qui coulent dans ses veines; cette nuit, elle s'est prise pour un pirate. et là elle a ses jambes qui divaguent, elle marche presque pas droit mais elle garde la tête haute, elle continuer à scruter les horizons sur son trône invisible. elle attend son gars, son vendeur de rêve avec ses p'tites pilules paillettes dans la poche. elle attend mais elle sent qu'il viendra pas (ça fait quinze minutes qu'elle est là et une reine n'attend pas). elle voit un type au loin mais c'est pas lui, lui c'est SON lui, elle saurait le reconnaître parmi tous les autres. sauf que c'est pas lui qu'elle attendait ici. - putain. qu'elle murmure entre ses lèvres encore abîmées.

avec max y'a pas de juste milieu, c'est tout à la fois, l'amour et la haine. finalement, la violence rejoint la passion parce que ça fait mal d'aimer. romie elle a c'truc qui lui perce le coeur à chaque fois qu'elle le voit. max, c'est le loup déguisé en agneau, faut pas s'fier à son regard émeraude et son air d'enfant sage, parce qu'il frappe aussi bien qu'il fait l'amour.
- j'attendais quelqu'un. t'as pas vu un type aux allures bizarres, par hasard? sauf que les types aux allures bizarres, ils courent les rues, ici. on est à détroit, c'est pas l'paradis, c'est l'enfer des fous. il pose son corps trop lourd contre le mur et sa cigarette pend entre ses jolies lèvres de bébé. putain c'que t'es beau connard, qu'elle se dit. - comment ça, on rentre? tu m'attendais?

y'a l'soleil qui s'pointe et les oiseaux qui commencent à chanter pour l'accompagner. et même ça, ça lui fait mal au crâne à romie, elle a l'impression qu'elle va exploser à l'intérieur, y'a comme un marteau qui frappe les parois de son cerveau et elle arrive même plus à penser, à l'intérieur c'est l'brouillard complet. et lui il était même pas là hier soir, il était même pas là pour lui dire qu'elle avait trop bu et qu'ils devaient se barrer de cette soirée de merde. parfois elle aime bien quand il est là, quand ils se déchirent ensemble et qu'ils se réveillent main dans la main au milieu de nulle part, abandonnés comme deux ivrognes dans les matins froids... (au final, elle sait plus trop ce qu'il s'est passé cette nuit.)
- laisse tomber... j'ai pas envie de lui courir après. elle lui sourit. un peu mais pas trop, elle veut pas lui faire comprendre qu'elle tombe amoureuse de lui à l'aube de chaque journée.

le mégot c'est elle. qu'on prend et qu'on jette, qu'on tient entre ces lèvres et qu'on écrase l'instant d'après. romie et max, c'est un peu ça. c'est s'aimer pour mieux se détester, c'est le désir pour mieux se quitter. mais elle arrive pas à dire non à ça, même lorsqu'il la prend par les épaules, comme ça, même lorsqu'il fait frissonner chaque parcelle de sa peau rien qu'en lui murmurant à l'oreille. parce qu'elle aura beau lutter : ses doigts à lui sont comme un second paradis. - des buvards. ou d'la D, j'sais pas trop, j'comptais fouiller ses poches jusqu'à trouver mon bonheur. elle sait qu'elle pourrait arrêter ces conneries. contrairement à max, lui, elle sait qu'elle pourrait jamais arrêter, parce que c'est sa dose la plus forte.

elle sait, qu'il en a. mais elle veut pas lui demander. pas à lui. elle veut pas qu'il soit le spectateur de sa décrépitude (même si, en soi, ils se déchirent ensemble donc... il sait). peut-être que finalement, ça peut être sympa d'être sobre à cette heure-ci, de profiter du chant des oiseaux et du soleil qui perce dans le ciel. peut-être que ça peut être bien de pouvoir le regarder dans les yeux, max, sans avoir les paupières lourdes qui se referment immédiatement sous le poids de l'alcool. oui mais. là, y'a trop d'questions. - chez l'cousin d'un pote... enfin j'crois. j'me souviens avoir traîné dans plusieurs appartements, c'tout. énième cigarette entre ses lèvres. la vie lui coûte cher, à romie.

elle voit le type d'hier soir, au loin, titubant de part et d'autre du trottoir. elle se rappelle de rien, mais pourtant elle sait que c'est lui, avec qui elle a passé tout son temps à boire et à cracher sur le reste de la société. et puis elle est partie, il l'a suivie, elle a jamais pu s'en débarrasser. elle est même persuadée qu'il a essayé de l'embrasser et  qu'elle lui a décollé une baffe aussi violente qu'un coup de poing (à moins que ça soit dans son rêve??). elle le regarde et dans sa tête elle prie pour qu'il ne regarde pas dans sa direction, qu'il ne se souvienne pas d'elle... perdu. le type sourit bêtement, un peu comme un enfant, et il s'arrête net dans sa marche. et merde. elle jette sa cigarette et prend la tête de max entre ses mains (ses cheveux sentent l'alcool et l'amour), puis elle l'embrasse, et ça laisse un goût de voyage sur ses lèvres.

parfois elle se sent comme une gamine qui tomberait amoureuse pour la première fois. quand elle embrasse ses lèvres elle a l'impression de voyager, elles ont le goût d'ailleurs et y'a même la terre qui tourne quand leurs bouches se touchent et que leurs souffles se mêlent. c'est presque magique, qu'elle se dit. c'est là qu'elle se sent en total accord avec lui, comme s'ils ne formaient plus qu'un, et qu'ils étaient seuls contre le reste du monde. comme s'il n'y avait que lui pour elle, et elle pour lui. - c'est... un type d'hier soir. un gars relou.. et il continue d'les fixer comme s'ils étaient des animaux.

"je t'aime moi non plus", c'est ça max et romie. parce que l'amour c'est pour les faibles et qu'ils sont des rois. comme si c'était un jeu, le premier qui tombe a perdu. là celui qui tombe, c'est l'amoureux, c'est l'faible, c'est celui qui l'avouera. et romie elle veut pas perdre parce qu'elle a pas l'habitude de perdre, elle veut pas d'tout ça parce que ça fait mal et que c'est compliqué. alors on s'contente de jouer et de résister, d'aimer l'autre avec le corps mais pas avec les mots. mais elle sait qu'un jour, un jour très proche, tout ça explosera et qu'il y aura un perdant.
et, perdue dans ses pensées, elle aurait presque pas entendu max s'énerver contre le type d'en face. il le r'garde comme s'il allait le bouffer, son grand lion. ça fait rire romie et ça fait rire max, ils se marrent comme deux gamins qu'auraient fumé leur première cigarette dans les toilettes de l'école. mais l'type lâche pas et accoste romie en gueulant. elle sent son sang qui grimpe vite, très vite, et ça bouillonne à l'intérieur. et en deux secondes, la face du type se retrouve en sang. - oops... j'crois que mon poing est parti trop vite.

le type se relève, comme s'il en avait pas assez eu, comme si son sang ne coulait pas assez sur le bitume encore tiède. il crache ses mots à la gueule de romie mais elle a pas le temps de répliquer que max a déjà les griffes dehors. et alors ça fait comme une partie de ping-pong entre les deux mâles : l'un après l'autre, les poings s'écrasent sur leurs visages avec un bruit sourd qui fait trembler son corps tout entier (parce qu'elle veut pas voir max défiguré et qu'au fond d'elle elle a peur). l'air commence à devenir lourd, elle sent la chaleur et l'adrénaline qui montent au fur et à mesure que max devient violent. quand il sort son couteau, c'est son coeur qui se met à battre à toute vitesse : entre excitation et frayeur, elle sait plus où se situer. elle souffle un grand coup, les mains sur les hanches, la peur au bout des doigts, quand le type s'en va enfin. - tu m'as fait flipper, sale voyou. ses bras à elle enlacent sa taille à lui, et elle le regarde comme une gamine regarderait son héros préféré. son superman des ghettos.

le gars s'en va enfin, l'ennemi s'éloigne, battu, achevé, à leurs pieds. ils le regardent partir jusqu'à ce que sa silhouette ne devienne qu'un minuscule point dans le brouillard.
une arme en plastique. max la surprendra toujours et c'est ça qu'elle aime avec lui, l'aventure, l'adrénaline et la surprise. elle sait jamais où elle va mais avec max, mais elle sait que le voyage sera bon. il la serre encore plus fort et elle voudrait pouvoir toujours sentir son odeur, l'avoir à portée de main quand elle en oublie le parfum. ils restent comme ça pendant de longues secondes, seuls contre tous, l'un contre l'autre ils sont (encore) plus forts.
et là, le seul endroit où elle voudrait être c'est bien au chaud sous ses draps à lui, sa peau contre la sienne, et s'endormir jusqu'à ce que la nuit revienne. elle le regarderait rêver et alors elle tomberait amoureuse de lui et des battements de son coeur.

y'a tout qui se tait autour, comme si le monde s'était arrêté de tourner pour les laisser s'aimer et se serrer plus fort jusqu'à s'étouffer. même les oiseaux se sont arrêté de chanter, même l'orage qui arrive au loin s'est arrêté de gronder. deux êtres abîmés au milieu de la ville fantôme, deux corps qui valsent entre l'amour et la haine. et entre, il y a leurs coeurs qui battent : c'est ce qui les assemble, comme le danger qui les anime, qui les fait vivre plus fort. - on est pas comme les autres, hein. elle veut pas qu'ils soient comme les autres. elle veut qu'ils soient romie et max comme des bonnie et clyde des temps modernes.

elle voit sa maison qui est un peu la sienne aussi (elle s'y sentirait presque mieux que chez elle). elle entre sans faire de bruit car elle sait. maman max est malade, il faut pas déranger maman max. elle admirera toujours le courage qu'il a, son amour et sa protection pour elle. il ne faudrait pas qu'elle parte, maman max.
dans la maison y'a des odeurs de tout, alcool, clope, baise, vieille bouffe, maladie. mais dans sa chambre à lui, c'est autre chose. un autre monde, leur monde : ça sent eux. c'est un parfum qui s'entendrait presque à travers les murs. il la pousse sur le lit et alors elle s'enveloppe dans les grands draps blancs, et se met en-dessous, comme quand elle était gamine et qu'elle se faisait des cabanes sous sa couette avec son chat et ses amis imaginaires.