les lindsay, pénélope, sheryl et les autres copines se font belles devant le miroir. elles prennent la pose, font des grimaces et contorsionnent leurs visages. elles sont les tortionnaires et les bandits des corps. la mode est aux uv et au fond de teint. elles imposent les codes, et toi, tu suis. elles décident les dictats de tes courbes, de tes vêtements, de ton brunshing... la mode est aux cheveux noir de geai lisses et aux queues de cheval. elles sont les étranges mannequins des boutiques de curiosité, les répliques des candidates des émissions de télé-réalité. mi-classe mi-putain. la mode est aux salopes. et on s'en porte bien.
romie, elle en a rien à foutre. sa tignasse est en bordel, pleine de nœuds et de bestialité. romie la lionne est prête pour aller danser ce soir.
milan continue à peindre son tableau, avec précision et minutie. elle prépare un chef d’œuvre : la vénus de botticelli version xxième siècle.
- passes moi le khôl, stp ?  

elles ont toutes le même corps, fin et élancé, elles se ressemblent toutes car elles essayent d'être la même personne : la fille des magazines, la fille parfaite des pubs à la télé, coiffée, déguisée, maquillée de la tête jusqu'aux pieds. le miroir même de la superficialité et de l'artifice, symbole extrême de la consommation américaine, paroxysme de l'image de la bimbo écervelée. bouches pulpeuses, crinières aussi lisses que du verre, paupières maquillées à coup de pinceaux multicolores. elle tend le crayon noir à milan. - t'as pas besoin de tout ça, t'sais qu't'es belle sans ces pots de peinture! romie elle, elle s'en fout. ses atouts c'est sa rage et ses hanches qui ondulent lorsque qu'elle danse sous les halo des lumières bleues dans les clubs de la ville.

- merci. milan prend le crayon et commence à s'en mettre autour des yeux. elle souligne son regard d'un trait noir. - au moins, ils regardent un peu plus tes yeux que ton cul ! elle est penchée au dessus du lavabo. les lèvres pincées et le visage concentré. cela fait déjà une heure qu'elle fait valser ses pinceaux dans la salle de bain. il faut que tout soit parfait, lisse, sans défaut. elle a été élevée dans une grande maison au carrelage blanc qui sentait l'eau de javel à plein nez. une grande maison lumineuse toujours propre toujours clean, parce que sa mère était maniaque. alors, elle n'aime que cette esthétique ascétique, qu'elle voit à la tv et au ciné. ce paysage tout blanc tout propre qui donne mal au crâne et rend cinglé.
elle se tourne vers romie, et l'examine à la loupe. - t'as un bouton sous la lèvre.

elle prend le crayon et alors ses yeux bleu océan se couvrent d'un nuage noir, comme une menace sur son regard, une envolée lyrique sur ses paupières. romie elle pense que c'est du gâchis mais ça sert à rien de lui dire, milan elle veut juste être comme les autres, elle veut juste plaire, au fond. elle la regarde se contorsionner devant ce miroir qui en a déjà vu passer des centaines avant elle. milan a ce souci de la perfection, faut que rien ne dépasse, que tout soit lisse et bien mis en place. elle se retourne vers romie et l'examine de la tête aux pieds, elle remarque même ce p'tit truc qui la dérange (le moindre détail qui tue). - j'm'en fous. puis elle allume sa cigarette magique en laissant s'échapper une épaisse fumée, embaumant toute la pièce de son odeur délicieuse. - t'as une touche, ce soir?

romie s'en fout. parce que romie, elle compte sur sa crinière de feu et sur ses courbes pour plaire. et ça marche, autant (voir mieux) que les milliers de paillettes qui recouvrent le visage de milan. chez ces filles-là, plaire est un programme informatique. depuis sa plus jeune enfance, milan a été déguisée comme une poupée : du fard sur les joues, du rose à lèvres, et du vernis à ongles. comme maman. et plus tard, ce sera : botox dans les joues, dans les seins et dans les fesses. parce qu'on leur a inculqué ce désir de beauté, de perfection.parce qu'elles n'ont trouvé comme finalité à leur existence que le fait de plaire aux hommes. et c'est dans les clubs, là où la baise et la sueur règnent, que milan imagine trouver celui qui la mettra en cloque et lui mettra la bague au doigt. comme sa mère, sa tante et sa sœur. - j'crois qu'il y aura le gars de samedi dernier. celui avec qui elle avait dansé. celui qui matait son cul. un gars, comme ça, un loup. - y'aura ton gars ? le max de romie. celui que milan n'aime pas trop. (parce que milan, au final, elle n'aime pas trop les gars, en général. parce qu'ils la prennent tous pour une putain, alors qu'elle est une déesse).  

y'a quelque chose de faux chez milan. des fausses manies jusqu'aux faux sourires : à trop vouloir être comme les autres, elle devient une étrangère. romie se dit qu'un jour, elle la perdra à tout jamais, qu'elle ne la reconnaîtra même plus. qu'elle sera vraiment devenue une de ces filles qu'elle déteste. et pendant ce temps là elle se dandine encore devant le miroir avec ces trucs qu'elle se met sur le visage. romie s'impatiente et saute dans tous les sens, faisant tomber la cendre de sa cigarette sur le sol brillant. - allez on y va on y va on y va ! y'a encore un peu d'enfance chez romie, elle est la lionne et le lionceau en même temps, domptée et indomptable. ce soir milan va pas rentrer toute seule, romie pourrait parier des millions, c'est comme d'habitude. un gars différent (presque) à chaque fois. - max? j'sais pas. j'lui ai pas dit où j'allais. elle lui dit jamais où elle va. ils sont bien trop fusionnels pour savoir où est l'autre à tel moment sans avoir à se le dire. - et toi, quand est-ce que tu t'en trouves un, un gars?

milan a des « principes » et elle tient à ses « principes ». mais souvent, il est difficile de comprendre la logique de ses « principes ». par exemple, pour elle, c'est toujours coucher le premier soir. alors, que les filles qui se respectent, évite de le faire. milan, elle fait ça, mais on sait pas toujours pourquoi. au fond, ça la dégoûte, mais elle ne dit pas. trouver un gars. c'est pas un sujet à aborder. a la maison, sa mère lui rabâche qu'elle aimerait bien avoir un gendre. être toujours seule, c'est comme une défaite. pourtant, elle y arrive pas (ou elle ne le veut pas). et en même temps, elle jalouse un peu romie. parce que même si elle parle avec beaucoup d'indifférence dans sa voix de son max, elle a des étoiles dans les yeux quand elle prononce son prénom. milan pose son pinceau. il est temps d'y aller (le lionceau ne tient plus en place). - c'est pas un truc qu'on trouve comme ça. j'attends le bon. celui qui n'arrivera jamais. - j'suis prête, on bouge. elle range les pinceaux dans sa trousse, et attrape sa veste. la lionne rugit. elles sortent de chez milan, et commence à aller à la soirée à pied. - la semaine dernière, ma mère m'a présenté un gars. le fils d'une de ses collègues, ou un truc comme ça.

la nuit est belle, douce et calme, elle n'est pas prête à affronter la soirée qui se prépare. y'a quelques étoiles par ci par là, qui tapissent le ciel de leur lumière blanche. la lune elle, est plus étincelante que jamais, on pourrait presque la confondre avec les éclairages de la ville. le gang se trimballe à travers les rues, rythmé par l'euphorie des samedi soirs. les deux reines sont devant, côte à côte elles guident la marche. - ah ouais? et alors, comment il est?
cigarette entre ses lèvres, flasque de rhum dans les mains, comme une pirate. ce soir elle guide son propre navire.

les autres filles piaillent, gloussent, pouffent de rire comme des petits oisillons. milan, elle marche tranquillement, avec sa longue chevelure qui se balance au rythme de ses pas. elle balance ces hanches qui font d'amples mouvements. droite gauche droite gauche. a côté d'elle, la delajungle qui rugit, excité par l'idée d'aller danser. - propre sur lui. les cheveux brossés en arrière. bien élevé. poli et gentil... ennuyeux. a force d'être trop exigeante, elle ne trouvera personne. comme le lui répète sa mère, sa tante, romie et les autres filles. - il fait des études de commerce, alors forcément, ça a plu à ma mère. passe moi le rhum. romie lui tend la flasque, milan s'arrête pour boire une gorgée.elle lui redonne la bouteille après l'avoir rebouchée. - j'l'ai rappelé avant hier. il m'a invité chez lui à boire un verre. il habite dans un grand appartement ultra moderne, bien aménagé. on a bu un verre de vin et j'lui ai sauté dessus. il était heureux, le gars. puis, j'ai prétexté un truc et j'me suis cassée. mais depuis, il me harcèle par sms. ça finit toujours comme ça, avec milan. c'est pas les gars qui ne veulent pas la revoir, c'est elle qui leur ferme la porte au nez.

elle passe le rhum à milan qui en boit une gorgée, puis elle en prend une, deux, trois à son tour. elle sent le liquide couler dans sa gorge et réchauffer ses entrailles. cette sensation, elle l'adore. c'est comme une dose d'adrénaline qu'on lui injecterait dans l'sang. manque plus qu'le danger. mais y'a que max pour comprendre ça. - ouais. l'gars relou, l'fils à maman, quoi. ces mecs là c'est pas leurs types. aux mecs sages elles préfèrent ceux qu'ont d'la gueule.
elle respire un grand coup et elle sourit. elle sent la nuit leur appartenir, elle a comme une odeur d'éternité, ce soir. elle voit des types au loin qui commencent à venir vers elles, démarche incertaine, regards vitreux. ça commence, qu'elle se dit.

à traîner en bande dans les rues de la ville, elles se sentent les reines de la nuit. celles que tout le monde regarde, dévisage et reluque. elles font tout pour attirer l'attention des passants, mais surtout celle des garçons. elles imitent les filles que l'on voit dans les séries américaines, avec ces plans au ralentis extrêmement cinématographiques lorsqu'elles échangent un regard avec un garçon. en bande de filles, elles démontrent que la rue leur appartient aussi.
en face du trottoir, une meute de gars arrivent vers elles. leur rencontre présage déjà des sifflements et des remarques graveleuses. dans ces moments-là, elles ont chacun un rôle. on laisse romie leur répondre, parce que la lionne est le meilleur chien de garde. les filles pouffent toujours, dans tous les cas. et milan, c'est celle qui ne parle pas mais qui lance des messages cachés avec ses grands yeux verts. face à face. - vous allez où les filles ce soir ?

elles se retrouvent toutes les deux face à la bande de gars (ils sont cinq, six, peut-être sept), et romie elle se poste là, devant celui qui semble être le "leader", gros dur en veste en jean, les yeux noirs comme les abysses. plutôt pas mal. les autres filles elles restent derrière à rire et à matter, comme d'habitude, éternelles princesses sans fond. elle lui répond en lui soufflant délicatement sa fumée à la gueule. - on va danser, pourquoi? vous êtes de la police? elle se retourne et jette un coup d'oeil à milan, son acolyte, en lui faisant signe de s'approcher. les gars sont contents, ils rigolent (bêtement) en regardant les filles de la tête jusqu'aux pieds. elle glisse à l'oreille de milan - il pourrait peut-être te plaire, celui-ci.

romie entre dans leur jeu. au lieu de passer notre chemin et d'ignorer leurs remarques, on répond à leur désirs et on les laisse nous mater. on les laisse nous mettre à nu avec leurs regards qui nous déshabillent de la tête aux pieds. celui qui les abordé est mignon, romie n'a pas tord. il a les cheveux d'un noir de jais et les yeux très profonds. milan jette un regard en biais à son amie : un regard qui veut dire pourquoi pas... - on va dans une boîte en périphérie, si ça te dit toi et tes gars de venir ? elle n'attend pas sa réponse. à lui de saisir sa chance maintenant ou jamais. elle avance et fend la bande en deux. ses hanches roulent et elle sent qu'ils lui matent le cul. milan utilise toujours son corps et ses attributs féminins pour faire passer des messages. les mots, c'est pas vraiment son truc. elle préfère utiliser ses fesses pour leur dire baise-moi.

y'a romie la lionne, et milan c'est la panthère avec ses grands yeux qui sentent la braise et sa démarche chaloupée appelant les hommes à venir à ses pieds. en fait, elles sont la jungle à elles deux. les reines et leurs serviteurs, là, filet de bave au coin des lèvres; le regard en forme de gun prêt à dégainer. la panthère commence sa marche et eux, ils la suivent, ils la suivraient au bout d'la nuit, au bout des rues qui mènent à la déchéance. romie s'amuse mais romie s'en fout. advienne que pourra, tant qu'elle danse et qu'ces hanches balancent sur le rythme des ténèbres. le club n'est plus très loin et les cigarettes s'enchaînent. elle fouille dans ses poches avant de rentrer, y'a des pilules couleur paillette qui n'attendent que de fondre sur sa langue. elle regarde milan. - t'en veux ?

milan a réussi son coup, les gars les suivent, la langue tombant jusqu'à leur pied. le leader au blouson de cuir la rattrape, elle lui sourit. ils discutent : il parle, elle répond pas (parce qu'on lui dit souvent qu'elle est plus belle quand elle est ferme sa gueule). elle se contente de sourire, ou plutôt de faire un demi-sourire (parce que les filles qui sourient trop souvent sont considérées comme niaises). arrivée devant le nightclub, romie lui tend un petit sachet. dedans, il y a des pilules avec des paillettes, à leur image. elle en prend une et la glisse sous sa langue. dans sa tête, tout explose. et la petite pilule décuple toutes ses sensations, toutes ses émotions. elle ressent la musique dans son corps comme une frissonnement. les filles et les garçons rentrent facilement dans la boîte de nuit. les videurs connaissent leur jolies minois, et leurs beaux derrières.

c'est l'appel de la musique,
l'appel des lumières électriques,
l'appel de la mort
et quand elles rentrent sur la piste de danse, c'est bien plus qu'une simple explosion, c'est l'apocalypse.

(la mort sur le dancefloor)

 

ça pétille sur sa langue, comme une explosion entre ses lèvres, un tsunami, une vague d'océan qui se heurte contre les parois de sa bouche, faisant vibrer chaque membrane, chaque tissu de sa peau trop blanche. elle commence à voir les étoiles dans ses yeux et la nuit devenir bleue sous la lumière des néons. et déjà les corps se heurtent dans cet espace confiné, les âmes se mêlent entre elles et les bras se lèvent comme pour invoquer l'au-delà, mais ce n'est que la musique qu'ils appellent, là, tendus vers l'infini, ils mouvent tels des serpents dans le sable. puis la musique devient de plus en plus violente, elle frappe les esprits comme des coups d'poings. je vois la mort, elle danse sur le dancefloor ! romie elle gueule sa rage là où personne ne l'entend. sa voix se fond parmi tous les cris et autres murmures, et si son rugissement était une arme alors elle aurait pu tuer rien qu'en ouvrant la bouche.  

Spoiler:

et la p'tite pilule commence à faire son effet. romie sourit et ses yeux oscillent, grands ouverts ou bien fermés pour mieux sentir l'osmose, comme si elle était hantée. son corps ondule et ondule sur les vagues de la musique. elle sent les regards des prédateurs sur elle et le félin se tient prêt à bondir. mais ce soir elle a pas envie de sentir des lèvres contre son cou, ce soir elle ne veut faire qu'un avec les lumières et le son. elle voit un gars se rapprocher d'elle et commencer à poser ses mains sur ses hanches. il a le sourire du diable sur ses lèvres quand il danse tout contre elle et dans ses yeux y'a les flammes de l'enfer. - dégage. le gars s'en va en la regardant de la tête jusqu'aux pieds, puis il se dirige vers milan.