le bout des doigts qui picote.
elle les touche un à un avec le bout de son pouce. elle a le regard vague, elle s'est avalée une pilule du bonheur et maintenant, elle comprend plus la réalité. c'est beau, on dirait qu'le ciel, c'est de la barbe à papa et que le vent c'est de la poudre de fée sur sa peau. sourire béat et jambes qui pendouillent dans le vide. le viaduc est haut (genre vraiment très haut) et sous elle, y'a les voitures qui passent à toute allure. le menton contre une barre de métal, elle s'pose tout pleins de questions sur la vie. des questions d'ado, des questions qui restent sans réponses et qui, de toute façon, sont bien trop enfantines pour être de vraies questions existentielles.
elle pense aux garçons et tout et tout.
vraiment, la gamine, elle a envie qu'ils la regardent et qu'ils la trouvent jolie, jolie comme une fleur, jolie comme la lune. ou bien jolie comme les bimbos sur les affiches placardées partout dans la ville.
elle s'demande comment elle pourrait être comme ça.
comment faire décrocher les machoires.
milan, milan, milan.
elle s'lève rapidement.
elle part. il est tard, mais elle croit encore qu'le soleil la réchauffe de ses rayons (c'est toutes les lumières dans sa tête, c'est toute la chaleur dans son corps). quand elle arrive chez son ancienne amie, elle hésite même pas une seule seconde. elle frappe comme une déchaînée.
- milaaaaaaaaaan ??? t'es là ???
même sa voix, elle crie ''drogues synthétiques''.

ce soir, milan doit rejoindre sa bande de filles devant l'usine de détroit. comme chaque soir, elle se fait belle pour aller au bal. là où les filles rencontrent de beaux garçons, qui les déshabillent de leur regard et leur mettent la main au cul.
la nuit commence à tomber. il est 21h, et elle a dit aux filles qu'elle les rejoindrait vers 22h. elle a encore un peu de temps devant elle.
cette après-midi, elle s'est fait du bien : elle est restée près de deux heures enfermée dans la salle de bain, dans ce cocon blanc, qui est l'endroit où elle se met à nu puis se recouvre de paillettes. le laboratoire de la métamorphose de la vraie milan à la fausse milan.
elle a pris un bain : elle est restée faire des bulles dedans jusqu'à ce que l'eau devienne froide, elle s'est amusée à garder la tête sous l'eau en apnée jusqu'à ressentir le besoin vital de l'air, jusqu'à sentir le désir immortel de vivre.
dans son bain, elle s'est détachée des mauvaises pensées et des mauvais souvenirs qui l'immergeaient jusqu'à la taille.
elle n'a rien fait de l'après midi à part de se mettre du baume au cœur et de la poudre sur les joues.
son smartphone indique un message : c'est romie qui lui dit qu'elle a chopé de la d. parfait pour apprécier la bonne musique du club.
elle finit de mettre du vernis sur ses ongles de pied lorsqu'elle entend quelqu'un frapper comme une dingue sur la porte d'entrée. elle descend les escaliers sur un pied ((à cause de ce vernis qu'il ne faut pas foirer)) et regarde à travers l'oeil de bœuf qui est celle ou celui qui hurle son prénom.
effet de surprise ! c'est pierrot la lune qui s’agite devant sa porte. son amie d'enfance qu'elle n'a pas vu depuis plusieurs années déjà.
elle ouvre la porte à la volée, et la prend dans les bras.
- mon petit pierrot ! qu'est ce que t'as grandi ! qu'est ce que tu es jolie !
pierrot a les joues rouge-cerise, et son petit sourire est à croquer. elle a tellement changée depuis la dernière fois que milan l'a vu (c'est-à-dire il y a quatre ans). elle a perdu des joues, mais elle a toujours ce regard espiègle d'enfant.
avec un reflet d'arc-en-ciel dans les yeux.

et elle reste silencieuse à rêvasser devant la porte close. elle a les yeux rivés vers le ciel (il est moins barbe à papa, plus sucre d'orge) et elle se perd entre les lampadaires stellaires. elle attend patiemment le moment où milan pointera sa gueule à l'entrée. c'est étrange, tout ça. de penser à une personne qu'on a pas vu depuis au moins quatre ans et de mourir d'envie de la revoir, comme ça. sans rien avoir d'important à demander (mais pour pierrot, devenir jolie, jolie, jolie, en fait, c'est très important).
quand la porte s'ouvre, elle ne l'entend même pas.
dans sa tête, y'a déjà un dj qui fait tourner ses disques rien que pour elle.
c'est l'étreinte de milan qui la fait s'écraser sur terre à nouveau. alors pierrot ne dit rien, elle a le sourire lunaire sur le visage et elle referme ses bras contre la jolie demoiselle. elle hume même son parfum et elle se dit que bientôt, elle aussi, elle sentira aussi bon que milan.
elle n'ajoute rien quand elle entend le mot ''jolie'' sortir de la bouche de son ancienne amie. c'est sûrement un mensonge, qu'elle se dit. comment elle peut être jolie quand personne n'a jamais daigné lui montrer ce qu'on doit faire avec un kohl, un rouge à lèvres ou du fond de teint.
- milan, milan, miiiilaaaaaaan.
elle tangue un peu comme un bâteau ivre.
- j'ai besoin de toi.
elle capture le visage de la belle entre ses petites mains et elle la regarde dans les yeux comme si la question qu'elle allait lui poser était une question de vie ou de mort.
- tu voudrais me montrer à être jolie, stp ????

pierrot ne réagit à ses mots, elle semble ailleurs (quelque part dans un monde où tout est sucré et tout est bon). elle regarde dans le vide, et a un sourire béa collé à ses lèvres. milan lui dit des mots, qu'elle ne semble pas entendre.
hé ho pierrot. hé ho pierrot ???
puis, elle s'agite comme si elle avait un truc hyper important à lui dire, qui pouvait pas attendre un ça va, qu'est ce que tu deviens, raconte moi tout ce que j'ai loupé pendant ces quatre dernières années.
pierrot s'affole, pierrot bouillonne, pierrot tourbillonne
pierrot-tourbillon  
- pierrot, t'as pris quoi ?
milan se sent toute secouée par cette rencontre si soudaine avec son amie d'enfance. la jeune fille lui prend la tête entre les mains et la fixe droit dans les yeux. elle lui demande un conseil comme si c'était une question de vie ou de mort.
face à ses yeux constellations, on ne peut rien lui refuser.
- oui... jolie comment ?
mais pierrot, elle est déjà jolie (mais peut être que ça elle le sait pas). elle ressemble à sa mère qui avait le même visage rayon de soleil et les mêmes yeux vert pommier.
avec ses pinceaux, milan lui écorcherait son visage d'enfant. elle serait comme le diable qui capturait l'innocence de la jeune fille pour en faire une femme. une de ces femmes vénales.
- suis moi.
milan amène pierrot dans sa chambre, là où se dissimulent les secrets de la beauté.

qu'est-ce qu'elle a prit, la gamine, déjà ? qu'est-ce qu'elle a prit, après être sortie de la petite bibliothèque de l'école ? une pilule bonhomme sourire. pour aucune occasion spéciale. avec personne. toute seule la pierrot, toute seule, les jambes pendant dans le vide durant de longues heures.
- je sais plus, de l'ecsta. c'était tout mignon, y'avait un smiley dessus.
elle a toujours le beau visage de milan entre ses petites mains et elle demande si on pourrait pas lui montrer à être jolie. et elle saute de joie quand son amie lui dit oui. elle tape même un peu des mains, pour célébrer.
- jolie comme toi, milan.
elle a les yeux pluie d'étoiles filantes. c'est encore plus brillant que tout à l'heure. grâce à nymphe des clubs, elle pourra devenir belle. grâce à son ancienne amie, les garçons pourront l'admirer et la kiffer (comme ils disent souvent des filles avec qui elle va à l'école). elle suit milan jusqu'à sa chambre et elle s'assoie sagement sur le lit de la jeune femme. elle admire la pièce. même ici, c'est plus coquet que chez elle.
- je veux avoir des cils qui touchent le ciel et des lèvres qui goûtent la confiture de fraises et des pomettes rose couché de soleil et des ongles qui ressemblent à des amandes.
elle s'essouffle à parler si vite.

elle a hâte que milan s'amuse à la maquiller. ça lui rappelle quand elles traînaient encore ensemble, quand la plus vieille s'amusait à la poupée avec la plus jeune. c'était toujours la même chose. milan qui piquait les produits de beauté de sa mère, pierrot qui se laissait faire sans broncher. dans ses souvenirs, y'avait pleins de paillettes et de couleurs.
elle espère que ce soir, ce sera un peu pareil, mais en mieux maîtrisé.
posée sur le lit de son amie, elle observe la chambre.
tout est différent. tout a évolué.
ça crie encore milan, pourtant.
ça le crie et c'est écrit.
milan sur les quatre murs et puis sur le miroir (avec du rouge à lèvres rouge vin). m-i-l-a-n même dans l'odeur du parfum qu'elle porte super bien.
quand elle revient avec tous ses instruments, ça étonne pierrot.
elle va vraiment utiliser tout ça ???
c'est dingue.
elle secoue la tête
- non, j'ai pas de petit copain... j'veux juste plaire aux garçons. ils me trouvent bizarre et pas jolie, alors voilà.
au coin de sa tête, elle pense à johnny, à lou, à tous les garçons du monde.
elle aimerait bien qu'ils aient le souffle coupé en la voyant débarquer.
- aie !
elle grimace en sentant la pince arracher ses sourcils.
- ç'pas agréable du tout, ça.
elle a déjà hâte au maquillage. ça fait moins mal.

milan dessine une jolie courbe sur les sourcils de pierrot, en respectant toutes les règles pour avoir de jolis sourcils bien épilés. c'est un travail de mathématicien, de géomètre parce que tout dépend de la forme du visage, qu'il soit carré, rond, ovale ou losange. elle sort un crayon et prend les mesures. le sourcil commencera là (au point a) et terminera là-bas (au point b), et dans les deux tiers, il se cassera ici (au point c). et après, c'est un jeu d'enfant, il faut arracher tous les petits poils qui dépassent.
- ma mignonne, tu ne connais le diction il faut souffrir pour être belle
lorsqu'elle a fini, elle repose son outil dans sa trousse de toilette, elle se recule pour admirer son travail. milan fait une expression de satisfaction, c'est parfait, pense-t-elle. géométriquement parfait.
elle prend alors la brosse à sourcil (l'outil le plus indispensable) pour les aligner dans le sens du poil.
- et y'a des garçons qui te plaisent ?
milan adore les potins, c'est comme les friandises pour certains. et même les amourettes de sa jeune amie l'intéresse, même si elle a passé l'âge.
sa trousse déborde de crème en tout genre qu'elle étale comme sur une toile blanche sur le visage de pierrot pour faire un tableau d'art abstrait.
il y a les crèmes contre les petits boutons blancs, une crème pour les points noirs, une crème pour les petits boutons rouges, une crème pour les moyennes boutons rouges, une crème pour les moyens gros boutons blancs.
et quand elle a fini d'étaler toutes ses crèmes, pierrot a le teint un peu blafard.