je déteste le jeudi.
j'ai physique le jeudi.
y'a rien à la télé le jeudi.
maman est partie un jeudi.

j'fixe le M majuscule au dessus de ma tête, comme le "m" de maman, très grand et très haut dans le ciel. la peinture jaune s'effrite un peu et j'ai l'impression d'être dans une métaphore. j'inspire fort. l'odeur de graisses saturées et de cholestérol me fait sourire. à côté, une famille se penche sur des frites molles et des happy meals presque froids. ça me rappelle nous, avant.
je vais sécher cet aprem'. fuck la physique. j'ai pas besoin de connaître newton pour tomber durement par terre à chaque fois que j'essaie de m'envoler. j'veux pas savoir comment tournent les planètes. j'préfère les regarder de loin, ces astres qui guident mes pas mal assurés. à ma montre il est midi douze. johhny avait dit qu'on mangerait ensemble. j'attend un biker.

j'hésite entre un big mac et des nuggets. le choix de toute une vie. mac do. la seule enseigne qui ait tenu le coup à détroit. comme un cafard résiste à une explosion nucléaire. on a eu la ruine et la pauvreté et comme si ça suffisait pas, la misère de la mal-bouffe. mais c'est pas moi qui vais m'plaindre. ce sera les nuggets.
j'vois johnny qui s'approche avec son air d'avoir arpenté toutes les routes. ses cheveux, éternellement plaqués en arrière, sont le seul truc vraiment sérieux que j'aie jamais su distinguer chez lui. le reste transpire l'ado qui s'éparpille aux quatre vents. moi aussi j'aimerais bien m'éparpiller, comme de la poussière d'étoile.
- yo !
que j'dis en lui rendant son sourire. et j'lève les yeux vers le très haut.
- nan trop pas. c'est l'jour "ramène ta reum à l'école". tu vois, j'suis dispensé.
j'me trouve drôle. j'lui lance un sourire à 2000$ et j'me lève. c'est l'heure d'aller commander.
nuggets.
frites.
sauce barbeque.
sprite.
XL.
- dis, j'pourrais faire un tour sur ta bécane un jour ? oscar veut pas m'prêter la sienne.
j'fais le mec. le mec détaché. le mec qui appelle son père par son prénom (même si au fond, j'ai du me concentrer, parce que ça fait bizarre). quand j'suis avec johnny, j'ai l'impression que je peux être n'importe qui. c'est le cuir de son blouson, odeur de voyage et les cernes sous les yeux, couleur d'amant. ça m'fait rêver.  

- y'a des gars derrière l'église qui m'ont montré, un peu. mais j'suis pas très doué...
j'ai tous les rêves d'aventure qui brillent au fond de mes yeux. je sens leurs petits picotements contre mes orbites quand johnny propose de m'apprendre à dompter la bête. j'croque dans mon nugget couvert de sauce en pensant qu'un jour je mangerai macdo dans un autre pays. j'aurai un blouson en cuir comme johnny et plein de petites copines. j'aurai un bandana aussi, j'aurai l'air mystérieux et je plisserai les yeux en observant l'horizon. comme dans les films.
- faudra qu'on aille après la dernière maison, sur la vieille route. oscar il va jamais par là.
et c'est vrai qu'il y va jamais sinon il m'aurait déjà trouvé. la dernière maison, l'église, la vieille route, mes refuges de paumé. en fait je crois qu'il a déjà du passer. et puis il a abandonné. je fais aucun effort. c'est c'que m'a dit la prof de maths.
le sprite pétille sur ma langue et la famille de la table d'à côté se tire. j'les observe et me tourne vers johnny.
- dis johnny, t'as combien de petites copines ?
j'demande parce qu'un type comme johnny, dans les films, il a plein de filles qui lui tournent autour. c'est l'aura de mystère et l'odeur d'essence je crois. ça fait voyager et les filles elles aiment quand on leur dit qu'on va les emmener loin. j'trouve ça cool. mais j'pense à pierrot et ma grande soeur elle mérite pas qu'il y ait d'autres filles. j'sirote mon sprite en faisant beaucoup de bruit.

Spoiler: